2023/01/06: Acquisition d’actions pour un prix sous-évalué : jurisprudence récente

Voici une société belge qui achète des actions pour une valeur sous-évaluée. Encourt-elle le risque de se faire taxer immédiatement à l’impôt des sociétés (au taux de 25%) sur la différence entre le prix d’acquisition (par hypothèse fort faible) et la valeur réelle (soit la valeur de marché, bien plus élevée) des actions ? La jurisprudence récente nous enseigne que ce scénario catastrophe ne peut être d’office écarté.

1) Le fisc peut d’abord fonder ses prétentions sur la fonction dérogatoire du principe comptable de l’image fidèle, qui permet de déroger à la règle d’évaluation au prix d’acquisition dans des « cas exceptionnels ». Les praticiens de la fiscalité belge ont tous en mémoire la fameuse affaire Artwork Systems (cession d’actions pour un sous-prix à une holding dans la perspective d’une mise en bourse), dans laquelle le fisc a mobilisé cet argument avec succès. A suivre la jurisprudence récente, il ne peut toutefois être question de « cas exceptionnels » qu’en présence d’une transaction inhabituelle. Les circonstances de l’espèce sont cruciales:
– dans un jugement du tribunal de première instance de Namur du 11 juin 2020, les juges ont vu un « cas exceptionnel » dans la chronologie tout à fait singulière des opérations.
– dans l’affaire ayant donné lieu à un arrêt du 1er octobre 2021 de la Cour d’appel de Liège, des parts sociales d’une société suédoise avaient été acquises par une société belge auprès d’une autre société suédoise, pour un prix manifestement inférieur à leur valeur réelle et revendues un mois plus tard à un prix 3400 fois (!) plus cher que la valeur d’acquisition. Suivant les magistrats, la succession très rapprochée des opérations et les liens unissant les intervenants ne constituaient pas un « cas exceptionnel »…

2) Mais la société acquéreuse encourt un risque de redressement sur la base d’une autre mesure anti-abus (l’article 206/3, § 1er du CIR, en combinaison avec l’article 207/2 du CIR), à raison d’un « avantage anormal ou bénévole » reçu. Comme le montre la jurisprudence récente, le fisc n’hésite pas à invoquer cette disposition pour considérer que la plus-value latente (différence entre la valeur d’acquisition et la valeur de marché des actions au moment de l’acquisition) constitue une « base imposable minimale » à l’impôt des sociétés. Cette mesure anti-abus peut toutefois être désactivée, notamment lorsque la société acquéreuse n’a pas acquis les actions auprès d’une entreprise liée ou qu’elle est en mesure de rapporter les circonstances économiques qui justifieraient le caractère normal du sous-prix, eu égard au contexte global de l’opération.

Voir la carte blanche de Denis-Emmanuel Philippe dans L’Echo

 https://www.lecho.be/opinions/general/Le-gain-tire-d-un-achat-d-actions-a-un-sous-prix-est-il-imposable-a-l-Isoc/10438662