2022/12/31: ABUS FISCAL (344,§1er du CIR) – VENTE D’ACTIONS SUIVIE D’UNE FUSION SILENCIEUSE

Dans un récent jugement du 22 novembre 2022, le tribunal de première instance de Liège a appliqué la mesure générale anti-abus à une opération qui se décomposait en (i) une vente d’actions par des personnes physiques d’une société opérationnelle (A) à une autre société (B), suivie d’une fusion mère-fille (fusion silencieuse, par laquelle B a absorbé A). Avec à la clef la condamnation des actionnaires personnes physiques à payer l’IPP à hauteur d’un dividende reçu (au taux de 30%).

En l’espèce, deux personnes physiques avaient vendu en 2015, pour un prix de 710.000 EUR, leurs actions dans une société active dans le secteur automobile (A) à une société (B), qui était quasiment dépourvue de substance. Ils avaient alors réalisé une plus-value exonérée. Les personnes physiques avaient par ailleurs un compte-courant débiteur de plus de 600.000 EUR à l’égard de A. En 2017, B absorba A (fusion mère-fille). A l’occasion de la fusion, une compensation s’est opérée entre la créance de prix des vendeurs et leur compte-courant débiteur. Selon le tribunal, c’est à ce moment que les actionnaires sont réputés avoir reçu un dividende imposable.

Pour bien comprendre le raisonnement du magistrat, il est utile de rappeler qu’en cas de fusion mère-fille, aucune action de la société absorbante (ici: B) ne peut être attribuée en échange d’actions de la société absorbée (ici: A) détenues par la société absorbante (article 12:34, § 2, 1°, CSA). Aussi, les éléments de fonds propres de la société absorbée disparaissent-ils à hauteur du pourcentage de participation de la société absorbante dans la société absorbée. En l’espèce, les réserves de la société absorbée A n’ont donc pas été reprises dans les comptes de la société absorbante B; elles ont été « effacées », pour reprendre l’expression du tribunal. Pour le tribunal, sans cet ensemble d’opérations, les personnes physiques auraient dû percevoir des dividendes (taxés à 30 %) pour arriver au même résultat de remboursement de leur dette.

Quel est l’enseignement de cette décision, qui s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence récente (cfr not. arrêt du 6 septembre 2022 de la CA d’Anvers – voir mon commentaire ci-dessous) ? Simple: la plus grande prudence est de mise lors de la mise en place de montages ayant pour effet de « convertir » / « transformer » des dividendes (imposables) en plus-values sur actions (exonérées). Force est de constater que les magistrats semblent de plus en plus enclins à suivre le fisc, en particulier lorsque les motivations autres que fiscales ne sautent pas aux yeux!

Denis-Emmanuel Philippe