2023/04/07: La Libre ECO: ‘Les “bas salaires” au coeur des débats sur la réforme fiscale’.

Non, la réforme fiscale, dans toutes les bouches et de tous les débats depuis le début de la législature, ne joue pas l’arlésienne. Juré, craché, la Vivaldi va très rapidement remettre
l’ouvrage sur le métier. Même le Premier ministre Alexander De Croo, qui n’est pas un partisan des délais à tenir, s’est avancé la semaine dernière. Selon lui, c’est une priorité des prochaines semaines, l’objectif est d’arriver à un accord avant la fin de l’été. Les travaux recommenceront le 17 avril.

“Forcément. Le CD&V n’a glané aucun vrai trophée depuis le début de la législature. Il est important pour eux de faire atterrir un semblant de réforme fiscale – je ne crois pas à une grande réforme – avant la fin de la législature. Et pour le Premier ministre aussi, car il veut montrer que la Vivaldi est capable de réaliser des réformes”, lâche une de nos sources gouvernementales.
Après un accord “modeste” – mais un accord tout de même, sur la politique de migration, et celui sur le budget, “forcer des accords sur la réforme des pensions et de la fiscalité serait effectivement du plus bel effet avant les élections de 2024”, appuie une autre de nos sources gouvernementales.

Une pièce à casser

La base de travail, on la connaît. C’est la troisième épure du ministre des Finances Van Peteghem (CD&V), présentée il y a quelques semaines. Elle repose essentiellement sur le relèvement de la quotité exonérée d’impôt de 10 160 à 13 500 euros (pour l’exercice d’imposition 2024) et l’élargissement de la tranche d’imposition de 45 % (d’un revenu net imposable de 46 440 euros à un revenu net imposable de 60 000 euros), au détriment de celle de 50 %. Comme l’accord de gouvernement prévoit que cette réforme, d’un coût de plus de 5 milliards, soit budgétairement neutre, des mesures compensatoires ont été mises sur la table. Dans les grandes lignes, un bon 2 milliards est à charge des entreprises, un milliard à charge des contribuables via l’impôt des personnes physiques (IPP), un milliard à charge des consommateurs (via une réforme de la TVA) et un gros milliard à charge des Régions.
Voilà pour les grands équilibres du projet du ministre des Finances – “une pièce à casser”, martèlet- il. Mais l’équilibre est précaire, même si aucun des partenaires de la majorité n’a rejeté le texte.
Comme de coutume, les bénéficiaires de la nouvelle architecture d’imposition – le relèvement de la quotité exemptée d’impôt et l’élargissement de la tranche de 45 % – seront au coeur des débats.

“Marc Coucke n’a pas besoin d’un relèvement de sa quotité exonérée” .

La bataille s’annonce rude. Pour les libéraux francophones, “cette nouvelle architecture est clairement un point positif du projet de réforme. Il était important pour nous que l’on mette en place un vrai incitant à l’accès au marché du travail avec le relèvement de la quotité exonérée d’impôt, qui agrandit l’écart entre un revenu du travail et une allocation. Et il était aussi important que l’on puisse baisser la fiscalité sur le travail pour tout le monde. Étant entendu qu’on a déjà pas mal revalorisé les petits revenus et les allocations depuis le début de la législature, il n’est pas question de déplacer le curseur sur les bas salaires uniquement”, estime-t-on au cabinet du président du MR Georges-Louis Bouchez. Lequel semble un peu esseulé sur ce point crucial. Pour les socialistes
et les écologistes, du Nord (Vooruit et Groen) comme du Sud, et pour le CD&V, le curseur doit davantage pencher vers les bas et moyens salaires. “Je ne pense pas qu’il soit très utile de relever la quotité exonérée d’impôt de Marc Coucke”, lance en forme de boutade le Vice-premier ministre Georges Gilkinet (Écolo). “On a revalorisé les déciles 1 et 2 de revenus (sur une échelle de 10 ; NdlR), c’est vrai ; maintenant, il faut revaloriser les déciles 3 et 4. Ce serait bien que ceux qui plaident pour un assainissement des finances publiques se souviennent qu’il serait opportun que la réforme soit ciblée, c’est-à-dire qu’elle bénéficie aux personnes qui en ont vraiment besoin, comme les jeunes qui se lancent dans la vie ou les femmes qui ont des enfants à charge”.

L’appui du Premier

Sur ce terrain, le PS est sur la même longueur d’onde : “La réforme doit bénéficier prioritairement aux travailleurs qui ont des fins de mois difficiles ; ce n’est pas le cas actuellement puisque l’effet combiné de la hausse de la quotité exemptée et de révision de la tranche à 45 % bénéficiera beaucoup plus à un directeur de banque qu’à une cheffe de famille monoparentale avec un petit salaire”, estime-t-on au cabinet du ministre de l’Économie Pierre-Yves Dermagne. Même Alexander De Croo (Open VLD) semble se ranger à cet avis. Dans un entretien sur les ondes de la Première (RTBF) le 30 mars, le Premier ministre estimait que “l’objectif est de rendre le travail plus attractif. […] L’un des éléments qui jouent, c’est quand même la différence entre travailler et ne pas travailler. Donc pour moi, l’impact sera plutôt sur les bas et moyens salaires”.

Ces “larges épaules”

Autre enjeu crucial, parmi les mesures compensatoires,la taxation sur certains revenus alternatifs. “On ne s’en rend peut-être pas compte, mais cette réforme est complètement financée par des impôts nouveaux. Il n’y a aucune économie réaliséedans les dépenses publiques, là où il y a pourtant déperdition de moyens”, dit-on au MR. Dans le viseur, entre les lignes, une nouvelle réforme du marché du travail que les libéraux appellent de leurs voeux pour activer davantage de personnes sur le marché de l’emploi. “Par ailleurs, 136 000 contribuables sont concernés par la fin des bonus basés sur les stock-options, ce n’est pas rien. Ce qu’on donne d’un côté, on le reprend de l’autre”, estimet- on au MR. L’aile gauche, elle, estime de toute façon que la réforme doit être financée par les plus riches – “ceux qui bénéficient de plans de stock-options sont rarement des travailleurs avec des revenus modestes”, nous lâche une source socialiste. “Pour nous, cela suppose surtout que le financement de la réforme repose surtout sur le capital (patrimoine et impôt des sociétés) plutôt que sur la consommation. Une hausse moyenne des taxes sur la consommation – comme le projet du ministre des Finances le prévoit – frapperait les pensionnés alors qu’ils ne gagneront rien à la baisse de l’IPP”, ajoutet- on au cabinet Dermagne. Écolo suit : “Au-delà de la réforme, que nous souhaitons orienter sur la transition écologique, il est clair qu’une de nos priorités sera que la réforme génère une répartition des revenus moins inégalitaire. Ce qu’on veut, c’est une société plus homogène”, conclut Georges Gilkinet (Écolo). Pour rappel, le projet des Finances prévoit notamment un doublement de la taxe compte- titres… Un symbole qu’il ne sera pas facile à faire avaler aux libéraux.

Épinglé – L’attractivité belge dans le viseur

Entreprise. Les entreprises, dans la deuxième épuredu ministre des Finances, étaient fortement mises à contribution. Près de deux tiers du financement de la réforme étaient à leur charge. C’est moins le cas dans le cadre de cette troisième épure. “Mais la refonte de la déduction pour investissement a été remisée au placard deux ans, ce qui est une aberration totale au vu des investissements à réaliser, notamment dans la transition climatique”, lâche une de nos sources patronales. Qui regrette qu’on augmente l’impôt des sociétés – “on doit être le seul pays d’Europe à le faire”. Tout n’est pas sombre puisque les avantages fiscaux sur les dépenses d’innovation sont grosso modo préservés. Cela dit, la plus grosse mesure concernant les entreprises est la fin du “régime RDT” et la mort de la “SICAV RDT”. C’est-à-dire ? “La fin du régime fiscal favorable des ‘RDT’(pour revenus définitivement taxés) et de ce type de fonds de placement va faire mal aux
milliers de PME qui y ont placé leur trésorerie excédentaire, et aux holdings patrimoniales qui pouvaient éviter de payer l’impôt sur leurs portefeuilles d’investissement”, synthétise Denis-Emmanuel Philippe (Bloom Law). “C’est un coup porté à l’entrepreneuriat, à l’afflux de capitaux étrangers vers la Belgique, et à l’investissement à risque, ce qu’on ne peut accepter, dit une source libérale. C’est aussi un coup porté à notre capacité à garder des centres de décision en Belgique.” Ce que pense globalement, en guide de conclusion, cette source issue du monde patronal du projet de réforme fiscale à cet égard ? “Une augmentation substantielle de l’impôt des sociétés comme réponse aux crises, une remise en cause de tous les stimulants fiscaux à des fins budgétaires, un report sine die de tous les moyens qui pourraient servir à stimuler les gigantesques investissements de transition qui sont indispensables pour garantir un avenir au pays.” (F.M.)

Journaliste François Mathieu

Lire aussi article 

La libre Eco 07 04 2023

 

Souhaitez-vous rester informé?

Abonnez-vous à la newsletter et recevez les derniers articles.



    ]