2024/04/05: L’ Echo: ‘Trois raisons de détenir une partie de votre patrimoine à l’étranger’.

Au cours de ces dernières années, les investisseurs belges ont rapatrié en masse leurs capitaux par crainte d’être repérés par le fisc, toujours mieux armé, notamment grâce à l’échange international de données. Néanmoins, les familles très fortunées ont encore de bonnes raisons de délocaliser une partie de leurs avoirs. L’échange international de données fonctionne à plein régime depuis 2017. Il a ôté tout anonymat à vos avoirs détenus ailleurs qu’en Belgique. Fini d’ »oublier » de déclarer des revenus étrangers: le fisc en sait plus sur vos avoirs que vous ne le pensez. De surcroît, certaines taxes, comme la taxe « Caïman », visent désormais les revenus étrangers issus de constructions juridiques qui autrefois échappaient à l’impôt. Enfin, la taxe de 0,15% sur les comptes-titres de plus d’un million d’euros s’applique tant aux comptes belges qu’aux comptes étrangers détenus par des Belges. Dans un premier temps, l’échange de données a incité de nombreux Belges à rapatrier leurs capitaux, mais les avocats fiscalistes constatent que les familles très fortunées se tournent à nouveau vers l’étranger.

« La demande de délocalisation en toute légalité est en hausse », observe Gertjan Verachtert, avocat fiscaliste chez Sansen International Tax Lawyers. « Aujourd’hui, le désir de diversification géographique joue un rôle plus important dans le placement de fonds en Suisse, par exemple, que les considérations fiscales », ajoute-t-il. L’avocat souligne toutefois que le climat fiscal incertain dans notre pays continue à jouer un rôle important: « Les discussions récentes sur l’augmentation de la taxe sur les comptes-titres, ou l’introduction d’un impôt sur les plus-values incitent même les familles fortunées à envisager d’aller vivre à l’étranger ». Néanmoins, même sans déménagement, les personnes bien nanties voient de bonnes raisons de placer une partie de leur argent à l’étranger. Nous en épinglons trois.

1. Diversification

En 2023, quinze ans après la crise financière, les banques ont à nouveau révélé leur vulnérabilité. Cela ne s’est pas limité à la faillite de quelques petits établissements américains, comme la Silicon Valley Bank. La débâcle de la grande banque suisse Credit Suisse a fait prendre conscience à de nombreux Belges, qui considéraient la Suisse comme un refuge sûr depuis des années, qu’il fallait loger leurs avoirs dans différents endroits. Pas uniquement au sein de l’Union européenne et en Suisse, mais également en Asie. Selon les prévisions du Boston Consulting Group (BCG), Hong Kong détrônera la Suisse et s’imposera comme le plus grand coffre-fort des actifs financiers au monde d’ici à 2025. De fait, ces cinq dernières années, la place financière asiatique a vu les avoirs détenus chez elle progresser en moyenne de 13% par an. La croissance observée à Singapour, qui occupe actuellement la troisième place, est encore plus forte: « Singapour bénéficie de plus en plus de son statut de refuge et de ses liens étroits avec l’Occident. Elle est donc de plus en plus considérée comme une porte d’entrée vers la région asiatique », peut-on lire dans l’étude du BCG. Jan Boes, qui travaille à la succursale luxembourgeoise de la Bank of Singapore, confirme que les familles fortunées d’Europe occidentale s’intéressent de plus en plus aux banques asiatiques: « Singapour est un pays très stable, avec le meilleur rating de crédit. Ses politiques économiques sont très prévisibles. De plus, Singapour est ouverte aux investisseurs et offre un environnement propice aux affaires ».

2. Possibilités d’investissement

En plaçant une partie de votre patrimoine auprès d’un gestionnaire d’actifs asiatique ou américain, vous répartissez non seulement vos fonds sur un plus grand nombre de banques et de régions, mais vous accédez à un champ d’investissement beaucoup plus vaste. « Les familles fortunées accèdent à des possibilités d’investissement que les banques européennes n’offrent pas », explique Jan Boes. Par exemple, les banques belges ne proposent qu’une liste limitée d’actions asiatiques. « En s’adressant à une banque asiatique, l’éventail est non seulement beaucoup plus large, mais il s’accompagne aussi d’une expertise pointue parce que les entreprises sont suivies localement. Je pense en particulier aux actions non cotées (le private equity). Et puis, nous voyons de plus en plus de familles fortunées établir un family office à Singapour, ce qui leur ouvre davantage la porte à des opportunités d’investissement », précise Jan Boes.

3. Planification patrimoniale et/ou successorale

Si les constructions juridiques étrangères n’échappent plus au fisc depuis l’instauration de la taxe Caïman, elles restent utiles dans le cadre de la planification successorale. La STAK (Stichting Administratiekantoor) néerlandaise en est un exemple: elle permet de régler avec souplesse la gestion des actions de sa société. Par son intermédiaire, les actions sont converties en certificats de dépôt, ce qui présente un avantage important pour les propriétaires-actionnaires dans la mesure où, par exemple, ils peuvent transférer la propriété économique de l’entreprise à leurs enfants, tout en conservant son contrôle juridique. De nombreux Belges ont constitué une telle fondation, faute de structure équivalente en Belgique, du moins sous cette forme. Aujourd’hui, une fondation belge permet en effet de travailler avec des certificats, mais ceux-ci se présentent différemment, ce qui explique l’attachement des Belges à la STAK. La STAK facilite la planification patrimoniale, mais d’un point de vue fiscal, cette construction ne présente aucun avantage pour un Belge. La STAK est certes exonérée de l’impôt néerlandais sur le revenu, mais un Belge reste redevable du précompte mobilier (belge) sur les dividendes.

De plus, la construction est également soumise aux droits de succession. Fin 2023, on craignait qu’un durcissement de la taxe Caïman ne rende la STAK moins attrayante, mais cela ne s’est finalement pas concrétisé. « Les conséquences fiscales d’un durcissement de la taxe Caïman se limitent généralement à l’obligation de déclaration et au délai d’imposition et d’enquête pour le fisc », explique Denis-Emmanuel Philippe, avocat chez Bloom.

Une autre construction est la Société Civile Immobilière (SCI). « Elle n’offre pas non plus d’avantage fiscal, mais s’avère utile et largement utilisée pour l’acquisition et la gestion de biens immobiliers en France », explique Denis-Emmanuel Philippe.

« Cette construction est principalement utilisée dans le cadre de planifications familiales, grâce à sa très grande liberté contractuelle. Les statuts de la SCI permettent de confier le contrôle au gérant », détaille-t-il. Selon l’avocat, la taxe Caïman a fait naître des discussions sur le traitement fiscal de la SCI, surtout si le bien qu’elle abrite n’est pas mis en location.

« Dans certaines situations, le fisc peut considérer la SCI comme une construction juridique, ce qui peut donner lieu à une obligation de déclaration, à l’imposition d’un revenu locatif fictif (qui peut être exonéré sous réserve de progressivité dans le cadre de la convention de double imposition), à une taxe de sortie sur les réserves (latentes) de la SCI (en cas de déménagement de l’associé-fondateur de la SCI), à la prolongation de la période d’imposition et d’enquête, etc. », explique encore Denis-Emmanuel Philippe.

Journaliste Peter Van Maldegem

Lire aussi l’ article dans L’ Echo.

Journal digital _ LˇEcho. Denis – Emmanuel Philippe . avril 2024 pdf

 

 

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