2024/01/30: L’ Echo: ‘Une partie de la taxe boursière est hors la loi depuis dix ans’.

La plupart des banques appliquent la TOB aux obligations de pays européens malgré une exemption légale. Environ dix millions d’euros auraient été retenus à tort.

Sans le savoir, certains investisseurs paient trop de taxes boursières. La taxe sur les opérations de bourse (TOB) frappe la plupart des transactions sur des obligations gouvernementales européennes, à l’exception des obligations de l’État belge, alors que la loi exonère les titres de dette de tous les pays européens.

Parmi les banques belges chargées de prélever la taxe boursière au profit de l’État fédéral, seules quelques enseignes appliquent cette exonération. Les autres institutions financières justifient leur pratique par un manque de clarté de la réglementation, une critique que réfute l’administration fiscale.

Exemption pour les Olo et titres analogues

D’après la législation relative à la TOB, une taxe de 0,12% s’applique à chaque transaction sur des obligations, à l’achat comme à la vente. La loi prévoit toutefois une exonération de cette taxe boursière au profit des Olo (obligations linéaires), les obligations à long terme émises par l’État belge. En 2013, cette exonération a été étendue aux obligations d’autres pays européens analogues aux Olo, à la demande de la Commission européenne.

L’objectif était « que la Belgique se conforme à la réglementation européenne », selon le gouvernement de l’époque. En effet, un État membre de l’Union européenne ne peut pas appliquer des mesures qui entravent le principe fondamental de la libre circulation des capitaux en Europe. Or, en exonérant uniquement les Olo, notre fiscalité dissuadait les investisseurs belges d’acquérir des obligations d’autres pays européens.

Malgré la correction législative adoptée à la demande de l’Europe en 2013, il apparaît qu’en pratique, les titres de dette de ces pays européens ont très généralement subi la TOB au cours des dix dernières années, alors que les obligations de l’État belge en ont été exonérées.

Les banques dénoncent un manque de clareté

D’après notre enquête, seuls quelques intermédiaires financiers, dont Belfius, Argenta, Beobank, Leleux et Saxo Bank, s’abstiennent de prélever la taxe boursière sur l’ensemble des obligations gouvernementales européennes. Les autres institutions financières belges prélèvent systématiquement, encore aujourd’hui, la TOB à l’occasion de chaque transaction sur des titres de dette de pays européens autres que la Belgique.

Interrogées sur cette différence de traitement alors que la loi place ces obligations sur le même pied que les Olo, ces banques invoquent un manque de précision de la législation. « En pratique, il est difficile, voire impossible, de déterminer techniquement quelles obligations seraient analogues aux obligations linéaires belges, à défaut d’instructions concrètes du législateur ou de l’administration fiscale », explique-t-on chez BNP Paribas Fortis.

La loi prévoit en effet que les obligations étrangères doivent être « analogues » aux Olo pour être exonérées de la TOB. « La mise en œuvre de cette exemption n’est pas possible parce que les paramètres qui peuvent décider de ‘l’analogie’ ne sont pas clairs dans la loi et n’ont pas été clarifiés par l’administration », souligne-t-on chez KBC.

« À défaut d’instructions claires, précises et vérifiables en pratique, nous ne sommes, en notre qualité de redevable de la TOB, actuellement pas en mesure d’appliquer ladite exonération sur pareilles obligations étrangères », confirme-t-on chez ING Belgique.

Même son de cloche chez VDK Banque: « Le code des droits et taxes n’est pas 100% clair et manque de règles fiscales claires », explique la banque qui choisit en conséquence d’appliquer « les règles les plus conservatrices » et donc de prélever la taxe boursière. Idem chez d’autres intermédiaires financiers, comme Keytrade Bank, Crelan ou encore Degroof Petercam: les Olo sont exonérées mais pas les autres obligations gouvernementales européennes.

La réponse du fisc

Interrogée sur ce manque de clarté de la réglementation allégué par les banques, l’administration fiscale conteste la critique. « L’article (de loi, NDLR) est clair: l’exemption vaut pour les obligations analogues belges et étrangères. Il se peut qu’une banque soit d’avis qu’il ne s’agit pas d’un produit analogue. L’application de l’exemption de la TOB à des obligations analogues aux obligations linéaires belges émises par un État membre de l’Espace économique européen est à examiner au cas par cas », répond le service public fédéral des Finances.

Celui-ci renvoie la balle dans le camp des banques: « L’administration Grandes Entreprises organise de nombreuses réunions de consultation avec les fédérations sectorielles concernées. À ce jour, cette administration n’a reçu aucune demande de la part du secteur à ce sujet. »

Remboursement de la TOB

Sur le fond, le fisc précise que son appréciation du caractère analogue aux Olo d’une obligation européenne dépend « des éléments présentés à l’appui de la demande de restitution de la taxe ». En effet, il existe une procédure permettant de réclamer un remboursement de la TOB. Mais l’administration considère que cette démarche n’est pas accessible aux investisseurs eux-mêmes: seules les institutions financières, redevables de la taxe, peuvent en réclamer la restitution, selon le fisc. Les particuliers concernés sont donc privés de tout recours en la matière, à moins d’ester en justice (voir encadré).

Les banques ne semblent, quant à elles, pas se presser pour demander un tel remboursement. Le fisc dit ne disposer d’aucune donnée sur le nombre de demandes de restitution de la TOB introduites depuis 2013 pour des transactions sur obligations d’États européens, « en l’absence d’un système permettant d’identifier de manière centralisée les litiges de l’espèce ».

Entre 5% et 10% d’opérations taxées à tort

En attendant, faute d’instructions claires dans la grande majorité des institutions financières, la taxe boursière continue à grever des transactions sur des obligations d’États étrangers qui, a priori, devraient en être exonérées. Pour l’État belge, cela représente un gain qui peut être estimé à une dizaine de millions d’euros au cours des dix dernières années, d’après nos calculs. En effet, sur cette période, on recense près de 135 milliards d’euros de transactions sur les obligations à long terme en général, selon les statistiques de la Banque nationale de Belgique (BNB).

Mais pour calculer la TOB perçue à tort, il faut éliminer, dans cette masse d’opérations, les transactions sur des obligations d’entreprises, qui sont largement majoritaires, les transactions sur des obligations d’États hors Union européenne, les transactions sur obligations européennes réalisées chez Belfius, Argenta, Beobank, Leleux et Saxo Bank, qui appliquent l’exonération, ainsi que les transactions sur les Olo qui, elles, sont bel et bien exonérées par l’ensemble des banques.

On considère dès lors que les opérations, taxées à tort, portant sur des obligations d’États européens autres que la Belgique représenteraient, à la grosse louche, seulement quelque 5% à 10% du total des transactions sur obligations à long terme.

Il est impossible d’être plus précis car la BNB ne dispose pas de statistiques plus fines sur les opérations obligataires. On parlerait donc d’environ 10 milliards d’euros de transactions sur des obligations gouvernementales européennes non belges depuis 2013. En y appliquant le taux de la TOB, qui était de 0,09% jusqu’en 2017 puis de 0,12% ensuite, on obtient un montant total de taxes ainsi perçues en trop par l’État belge qui s’élèverait à quelque 10 millions d’euros en dix ans.

Risque de violation du droit européen

Ce n’est pas le seul souci de cette TOB infondée. En continuant à discriminer, en pratique, les obligations d’autres États européens malgré la modification législative de 2013, la Belgique risque d’être en infraction par rapport au droit européen.

« Même si le texte légal semble mettre sur un pied d’égalité les titres belges et ceux de l’Espace économique européen, il y a de facto clairement une différence de traitement, eu égard à l’absence de définition claire des caractéristiques auxquelles les titres émis par d’autres États membres de l’Espace économique européen doivent répondre », estime Denis-Emmanuel Philippe, avocat associé chez Bloom Law.

« Pour s’en convaincre, il suffit d’avoir égard à la pratique de la plupart des banques, consistant à prélever la TOB en présence de transactions impliquant des titres étrangers », explique cet expert. « Comme les caractéristiques auxquelles ces titres doivent répondre pour pouvoir bénéficier de l’exemption ne sont pas clairement établies, les investisseurs belges ont naturellement intérêt à investir dans des Olo belges, vu l’insécurité juridique entourant l’application de l’exonération sur les titres émis par d’autres États membres. Le fait qu’en pratique, beaucoup de banques belges préfèrent ne prendre aucun risque, ce qui est compréhensible, en prélevant la TOB sur les transactions portant sur des titres étrangers, conforte cette thèse. »

La Belgique condamnée à deux reprises par la CJUE

Reste à voir si cette pratique belgo-belge risque de faire froncer des sourcils du côté des autorités européennes. « Il appartient aux autorités fiscales belges d’évaluer si les lois fiscales sont correctement appliquées par les opérateurs économiques (comprenez: les banques qui prélèvent la TOB, NDLR) », nous a confié un responsable de la Commission européenne, chargée de surveiller le respect du droit de l’UE.

« La Commission ne peut pas préjuger du fait qu’une règle nationale spécifique ou son application en pratique viole le droit de l’UE », ajoute, avec prudence, ce représentant de l’exécutif européen.

Toujours est-il que, dans un dossier comparable, celui de l’avantage fiscal des comptes d’épargne, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a déjà condamné à deux reprises la Belgique. Elle lui reprochait son recours au critère très vague du respect, par les comptes d’épargne étrangers, de critères « analogues » à ceux qui s’appliquent aux livrets belges.

La haute juridiction y a vu une entrave à la libre prestation de services en Europe: à cause de cette condition à l’entrée sur le marché belge de l’épargne, les banques étrangères sont désavantagées par rapport aux banques belges.

Le même raisonnement pourrait s’appliquer à « l’analogie » exigée par l’État belge pour exonérer de TOB des obligations gouvernementales étrangères. « La référence à la jurisprudence de la CJUE concernant l’exonération de précompte sur les comptes d’épargne étrangers me semble tout à fait pertinente », conclut Denis-Emmanuel Philippe.

Un dossier fiscal problématique de plus sur le bureau de Vincent Van Peteghem (CD&V), le ministre fédéral des Finances.

Le remboursement de la TOB testé sans succès

Puisque l’administration fiscale signale qu’elle examine « au cas par cas » l’application de l’exemption de TOB au profit d’obligations analogues aux Olo, émises par un autre État européen, nous avons cherché à savoir si l’on pouvait facilement se faire restituer la taxe boursière sur des obligations gouvernementales européennes très courantes, telles que les OAT (obligations assimilables du Trésor) françaises.

Sur le marché secondaire, où s’échangent les obligations émises dans le passé, nous avons donc acheté puis revendu une OAT arrivant à échéance en octobre 2027.

Il existe, sur ce même marché, une Olo qui arrivera à maturité le 22 octobre 2027. On peut donc raisonnablement supposer que l’OAT retenue est « analogue » aux Olo.

Comme nous sommes passés par un intermédiaire financier qui applique systématiquement la taxe sur ce type de transaction, cet investissement de 1.000 euros a donné lieu à la perception de la TOB de 0,12% à l’achat et à la revente, soit un montant total de 2,4 euros.

Ensuite, sur base des bordereaux de ces deux transactions obtenus auprès de l’intermédiaire financier, nous avons introduit, dans les formes requises par la réglementation, une demande de restitution de cette TOB auprès du service compétent.

L’administration a rejeté notre demande en la jugeant irrecevable parce qu’elle n’émanait pas de l’intermédiaire financier débiteur de la taxe. La réglementation ne précise pourtant pas expressément que la demande de restitution doit émaner de l’institution financière redevable de la taxe. Elle prévoit toutefois que « le remboursement est effectué entre les mains de celui qui a acquitté la taxe ». Le problème est que notre intermédiaire financier ne prévoit aucune procédure de demande de remboursement de la TOB pour ses clients. Nous sommes donc dans l’impossibilité d’obtenir la restitution, pourtant légitime, de la taxe boursière, à moins de nous lancer dans une longue procédure judiciaire.

Dans le cas présent, le très faible enjeu financier ne mérite évidemment pas d’entamer une telle procédure. Mais pour des investisseurs très actifs sur le marché des obligations gouvernementales, la réclamation du remboursement de la TOB peut porter sur des transactions remontant jusqu’à deux ans dans le passé, ce qui pourrait justifier la contestation de taxes d’un montant bien plus élevé.

Journaliste Philippe Galloy
Lire aussi l’article dans L’ Echo 

 

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