2024/01/15: Le Soir: ‘Le vrai ou faux : le PTB s’est-il trompé de chiffres en parlant des impôts payés par Colruyt ?’

Ce dimanche, Raoul Hedebouw a lancé une charge envers deux entreprises, dont Colruyt, qu’il accusait de ne (presque) pas payer d’impôts. La société belge a démenti. Alors, qui a raison ?

Ce dimanche, dans son discours des vœux, Raoul Hedebouw a lancé une charge envers deux entreprises, dont Colruyt, qu’il accusait de ne (presque) pas payer d’impôts. « Colruyt a réalisé un bénéfice de 1,8 milliard d’euros. Sur cette somme, il a payé un total de 0,27 % d’impôt », a déclaré le président du PTB. Colruyt a immédiatement réagi en affirmant « être assujetti à l’impôt des sociétés dans tous les pays où il opère et avoir payé près de 25 % d’impôts lors de l’exercice 2022/2023 ». Alors qui a raison ? Le PTB ou Colruyt ?

Sur les réseaux sociaux, David Pestieau, directeur politique du parti, a partagé une capture d’écran des comptes déposés à la Banque nationale belge (BNB) ce dimanche. Sur l’image, un bénéfice de 1,8 milliard d’euros et moins de 5 millions d’impôts payés. Preuve de la bonne foi du PTB ? Pas si vite, car les comptes épinglés (ceux des établissements Colruyt) sont ceux d’une holding qui gère des dizaines de sociétés qui sont, à leur niveau, soumises à l’impôt des sociétés. « Il est tout à fait logique que l’impôt dû par une holding soit fort faible, grâce à l’exonération des plus-values sur actions et des dividendes reçus (pratique encadrée par une directive européenne qui vise à supprimer toute double imposition lorsqu’une filiale distribue des dividendes à sa maison mère, NDLR). Il faut plutôt consulter les comptes consolidés du groupe Colruyt, qui affichent un montant d’impôts des sociétés (au niveau consolidé) d’environ 24,8 % », explique Denis-Emmanuel Philippe, avocat fiscaliste. Soit 62,2 millions d’euros sur un bénéfice consolidé de 250,9 millions d’euros. Comme défendu par Colruyt.

Fin de la séquence ? Pas sûr. Ce lundi, Raoul Hedebouw reconnaissait qu’il aurait dû mentionner que « les bénéfices venaient du Luxembourg », tentait de changer de focus en évoquant « le combat sur les plus-values boursières » et retombait sur ses pattes en disant que « parce que ce 1,8 milliard avait été transféré du Luxembourg, Colruyt estime qu’il ne doit pas apparaître dans les comptes consolidés sous prétexte que la holding avait déjà payé un impôt au Grand-Duché. Nous, on considère que ces bénéfices doivent apparaître dans les comptes consolidés ».

Sauf que la réalité est, à nouveau, fort différente. Ce 1,8 milliard s’explique par des subtilités d’écritures comptables et non des bénéfices réels. Un montant qui symbolise des mouvements au sein du groupe. « Il s’agit de transactions internes qui ne représentent aucune plus-value globale pour Colruyt Group et n’engendrent donc pas de liquidités/cash supplémentaires », explique l’entreprise. Ce qui a poussé, sur Twitter, un réviseur d’entreprise à la comparaison suivante : « Si au sein d’une même famille, un partenaire vend sa voiture à l’autre pour 100.000 euros, alors cette famille a réalisé un gros profit. Du moins, selon le PTB. »

La femme de ménage et la multinationale

Au-delà du cas Colruyt, le PTB a-t-il raison de souligner qu’il n’est « pas normal qu’une femme de ménage paie plus d’impôts qu’une multinationale » ? « Il est très difficile de comparer la fiscalité des sociétés et celles des personnes physiques », répond Edoardo Traversa, professeur de droit fiscal à l’UCLouvain. « Il existe des mécanismes qui permettent de lisser l’imposition des sociétés sur de nombreuses années, ce qui est moins le cas pour les personnes physiques. Par exemple, il n’est pas rare que des pertes ou des investissements comptabilisés une année permettent d’éponger un bénéfice plusieurs années plus tard. Par ailleurs, un même groupe comporte généralement un grand nombre de sociétés. Vu qu’il existe de nombreux transferts entre ces sociétés, on pourra toujours trouver une société du groupe qui ne paie pas d’impôt ; il est donc plus pertinent d’évaluer la situation du groupe dans son ensemble. »

Pour notre expert, la comparaison du PTB ne tient donc pas forcément la route. « Par contre, ce qui est vrai, c’est que le taux de l’impôt sur le revenu d’une femme de ménage est probablement plus élevé que le taux de l’impôt des sociétés. Les sociétés sont soumises à un taux de 25 %, avec des exonérations et déductions spécifiques. On arrive donc parfois à des montants très bas, alors qu’une femme de ménage va très vite se trouver sur la tranche supérieure des revenus taxés à 40 voire 45 %. »

Scandaleux ? « Pas nécessairement. Il est plus pertinent de comparer avec la situation des actionnaires des grosses sociétés dont on parle, comme Colruyt », estime Edoardo Traversa. « En Belgique, la plupart des plus-values sur actions sont exonérées d’impôt. On ferait mieux de poser la question de la justification des régimes fiscaux favorables applicables à des revenus qui sont perçus par les classes très aisées de la population. »

Journaliste Julien Bialas

 

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