2023/12/12: L’ Echo: ‘Une nouvelle arme antifraude dans les mains du fisc?’

Dans son nouveau plan d’action contre la fraude fiscale, le ministre des Finances Vincent Van Peteghem propose un élargissement considérable de la disposition générale anti-abus.

Lors de sa formation, le gouvernement De Croo s’était donné pour ambition de récolter 1 milliard d’euros supplémentaires de recettes grâce à la lutte contre la fraude d’ici à 2024. Depuis 2021, il en a déjà résulté deux plans d’action et de nombreuses réalisations, comme la création de brigades mixtes de la police judiciaire et de l’inspection spéciale des impôts (BBI) et la prolongation des délais d’examen des déclarations fiscales. Dans son troisième plan d’action, le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V) propose un élargissement de la disposition générale anti-abus, ce qui inquiète particulièrement les milieux patronaux.

La difficulté de prouver l’intention de frauder

La disposition relative aux abus, actuellement en vigueur, permet aux autorités fiscales de prendre des mesures à l’encontre des entreprises et des particuliers qui abusent de régimes favorables ou d’avantages fiscaux. C’est ce qu’on appelle la planification fiscale agressive. Au-delà des dispositions en ce sens pour chaque régime fiscal, il existe également une mesure générale anti-abus. Mais cela ne fonctionne pas. L’administration fiscale constate que les juges acceptent la moindre justification du choix d’une construction fiscale particulière. Qui plus est, le fisc parvient rarement à démontrer, comme il en a l’obligation, qu’un acte juridique est contraire à l’objectif spécifique d’une disposition légale, parce que ce dernier est souvent défini vaguement dans la loi.

Respecter l’objectif de la législation fiscale

C’est pourquoi le comité ministériel mis en place par le grand argentier propose aujourd’hui au gouvernement d’appliquer la disposition anti-abus de la directive européenne ATAD au Code des impôts sur les revenus. Non seulement pour les entreprises visées par l’ATAD, mais aussi pour l’impôt sur le revenu des personnes physiques.

Plus précisément, il clarifie la notion de délit fiscal comme étant la mise en place d’un montage artificiel visant uniquement à obtenir un avantage fiscal qui porte atteinte à l’objectif ou à l’application de la législation fiscale applicable. Les autorités fiscales seront ainsi moins dépendantes de la qualité du travail législatif.

« C’est un changement radical », estime l’avocat fiscaliste Denis-Emmanuel Philippe, du cabinet Bloom Law, sur la base de l’avant-projet de loi du ministre Van Peteghem. « Le fisc ne doit plus prouver que l’objectif précis d’une disposition fiscale spécifique a été contrecarré. Il suffit de démontrer que l’avantage fiscal est contraire à l’objectif de la législation fiscale applicable. Ne tournons pas autour du pot: le fisc pourra ainsi prouver beaucoup plus facilement l’existence d’un abus fiscal. »

« Il sera ainsi plus difficile pour le contribuable d’échapper au redressement » poursuit l’avocat. « Aujourd’hui, il peut y échapper s’il avance des motifs non fiscaux valables, comme des motifs familiaux et patrimoniaux, tels que la planification successorale. Dans l’avant-projet, seules les raisons commerciales ou économiques valables reflétant la réalité économique peuvent être invoquées. Ce qui est également nouveau, c’est qu’un contribuable peut se voir infliger un redressement même s’il n’a pas commis l’acte juridique – l’abus – lui-même.

Besoin d’une vraie réforme fiscale

L’avocat fiscaliste se demande si ces modifications ne seront pas recalées par le Conseil d’État. Le professeur de droit fiscal Mark Delanote (UGent), qui avait participé au projet de réforme fiscale, mort-né, du ministre des Finances, émet également des réserves. « À mon avis, une disposition anti-abus très large n’est possible que si l’on dispose d’un système fiscal très clair. Mais on ne peut pas présenter un fromage plein de trous et reprocher aux contribuables de passer par un de ces trous. C’est précisément pour mieux formuler ces objectifs que nous avons besoin d’une vraie réforme fiscale. »

Au cabinet du ministre des Finances, l’on précise que le projet doit encore faire l’objet d’une discussion au sein du gouvernement. L’Open Vld estime déjà que la proposition « va trop loin ».

Journaliste Dieter Dujardin

L’ Echo 12 12 2023 – Denis-Emmanuel Philippe

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