2023/12/02: L’ Echo: ‘Nouveau tour de vis en vue pour la taxe Caïman’.

Pour renforcer l’efficacité de la taxe Caïman, le gouvernement fédéral entend relever à 50% le seuil de participation minimum d’un tiers à un fonds dédié pour pouvoir échapper à la taxe.

Instaurée en 2015, la taxe Caïman impose les revenus d’une construction juridique dans le chef de ses fondateurs ou bénéficiaires comme s’ils les avaient eux-mêmes directement perçus. Objectif: mettre un frein à l’évasion fiscale. Dans un rapport publié au printemps dernier, la Cour des comptes avait pointé plusieurs lacunes et échappatoires. Ces remarques ne sont pas sans importance, sachant que le gouvernement a prévu de récupérer au budget 2024 un montant de 13 millions d’euros grâce à un renforcement de la taxe Caïman.

Dans notre édition du 11 octobre dernier, nous avions déjà pointé la volonté du gouvernement de fermer une série d’échappatoires à la taxe Caïman, dont celui qui consiste, pour le fondateur d’une construction juridique, à s’expatrier. C’est le principe d’une exit tax.

vec le relèvement à 50% du seuil de participation minimum à un fonds dédié, c’est une autre échappatoire qui semble vouée à disparaitre. « Cela va provoquer le démantèlement de nombreux fonds d’ici à la fin de l’année », prédit Denis-Emmanuel Philippe, avocat chez Bloom Law et maitre de conférence à l’ULiège.

«La surprise du chef»

Voici pourquoi. De nombreuses familles belges investissent dans des fonds d’investissement dédiés. Il s’agit d’organismes de placement collectif (OPC), par exemple des SICAV luxembourgeoises. Celles-ci peuvent être soumises à la taxe Caïman, sauf si on fait rentrer dans l’OPC un tiers (un homme de paille, par exemple un conseiller) détenant une participation dérisoire, de manière à ce que l’OPC ne soit plus dédié. Autrement dit, donner une infime participation à une personne dite non liée suffisait jusqu’ici pour échapper à la taxe Caïman.

Dans son rapport, la Cour des comptes recommande au législateur de définir le pourcentage de participation minimum que ce tiers doit détenir pour que l’OPC ne soit pas soumis à la taxe Caïman.

Selon le nouveau projet de loi du gouvernement déposé à la Chambre le 23 novembre dernier, un OPC dont les droits sont détenus à plus de 50% par une personne, ou plusieurs personnes liées entre elles, peut être considéré comme une construction juridique. Denis-Emmanuel Philippe n’en revient toujours pas: « Il s’agit de la surprise du chef. De nombreux praticiens s’attendaient à ce que le pourcentage de participation minimale par des tiers soit fixé à 10%, 20% voire 30%. Selon le projet de loi, il faudrait que les tiers aient au moins 51% dans le fonds dédié pour échapper à la taxe Caïman! »

De nombreux fonds risquent d’être visés, selon lui. Exemple: si un père détient avec ses trois enfants au moins 51% des parts d’un compartiment d’une SICAV luxembourgeoise, ils seront considérés comme fondateurs d’une construction juridique, avec toutes les conséquences qui en découlent (obligation déclarative du fonds dédié, taxation par transparence des revenus recueillis par le fonds dédié). La présence d’investisseurs tiers dans le compartiment (détenant ensemble 49% des parts) n’y changera rien.

Voilà qui devrait, estime Denis-Emmanuel Philippe, inciter de nombreux investisseurs belges (personnes physiques) à sortir d’OPC dédiés: « Sauve qui peut! » Auquel cas, de nouvelles questions se posent, notamment celle du traitement fiscal de la plus-value réalisée par les investisseurs, lorsqu’ils se font racheter leurs parts par le fonds. Mais ceci est une autre histoire…

Le résumé

  • Le gouvernement ferme l’une après l’autre les échappatoires à la taxe Caïman.
  • Jusqu’ici, l’octroi d’une infime participation à une personne non liée suffisait pour échapper à la taxe Caïman.
  • Dorénavant, il faudra que les tiers aient au moins 51% dans le fonds dédié pour échapper à la taxe Caïman.
  • Voilà qui devrait inciter de nombreux investisseurs belges à sortir d’OPC dédiés.

Les constructions juridiques détenues au travers de sociétés intermédiaires aussi visées

Dans le cadre de la réforme de la taxe Caïman, qui devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2024, le gouvernement a aussi prévu d’élargir le champ de la taxe Caïman, en visant ceux qui détiennent des constructions juridiques, directement ou indirectement via une chaîne de constructions intermédiaires.

Pour Denis-Emmanuel Philippe (Bloom Law), il s’agit d’une autre surprise. « Lorsqu’un particulier détient une construction juridique via une construction intermédiaire, par exemple une société belge, il pourrait malgré tout encore tomber sous le coup de la taxe Caïman. Voilà un autre grand changement par rapport au dispositif actuel. »

Aujourd’hui, les doubles structures sont déjà soumises à la taxe Caïman, mais uniquement dans la mesure où les constructions juridiques sont placées au-dessus d’autres constructions juridiques. L’interposition d’une entité qui n’est pas une construction juridique permet en principe aujourd’hui d’éviter la taxe Caïman.

Imaginons qu’une personne physique belge détienne une construction juridique (par exemple: une société suisse ou une SOPARFI luxembourgeoise faiblement taxée) indirectement, via une société belge. Denis-Emmanuel Philippe: « Si la réforme est adoptée en l’état, les revenus imposables de la construction juridique pourraient être taxés par transparence dans le chef du fondateur. Et ce n’est pas tout: les comptes-titres de plus d’1 million d’euros de la construction juridique seront soumis à la taxe sur les comptes-titres! »

Journaliste JEAN-PAUL BOMBAERTS

Journal digital _ L’Echo. 02 12 2023 pdf

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