2023/11/22: Trends Tendances: Denis-Emmanuel Philippe (Bloom Law) : “L’affaire Shakira concerne une fraude fiscale à la résidence assez classique”

Avocat spécialisé en droit fiscal et associé au sein du cabinet Bloom Law, Denis-Emmanuel Philippe commente la transaction conclue par la popstar avec les autorités espagnoles.

La transaction de plus 7 millions d’euros conclue par la star de la pop Shakira avec les autorités espagnoles a fait le tour du monde. Lundi, la chanteuse d’origine colombienne a en effet mis fin à un des différends qui l’opposait à la justice espagnole, reconnaissant sa culpabilité et avoir fraudé le fisc pendant plusieurs années. Selon le parquet espagnol, la chanteuse était résidente fiscale espagnole pour les années 2012, 2013 et 2014, car elle aurait vécu plus de 183 jours en Espagne. Une thèse vivement contestée par ses avocats, qui mettaient notamment en avant l’impossibilité pour Shakira d’être présente plus de la moitié de l’année sur le sol espagnol, eu égard à ses nombreux engagements professionnels autour du monde (concerts, tournées…).

De quoi parle-t-on exactement dans cette affaire Shakira ?

L’affaire concerne une fraude à la résidence fiscale assez classique. En droit fiscal espagnol, une personne physique est considérée comme ayant sa résidence fiscale en Espagne si elle séjourne plus de 183 jours par an en Espagne. En droit fiscal belge, le nombre de jours de présence en Belgique n’est par contre pas décisif pour déterminer la résidence fiscale. On regarde plutôt l’endroit où la personne physique séjourne de façon effective et continue. Un autre critère alternatif est le “siège de la fortune”, c’est-à-dire l’endroit d’où sont gérés les biens de la personne.

Lorsqu’un contribuable belge (personne physique) souhaite transférer son domicile fiscal en dehors de nos frontières, quelles précautions doit-il prendre ?

Lassés par la pression fiscale croissante, de nombreux particuliers belges (fortunés) décident de transférer leur domicile vers des cieux fiscalement plus cléments. Toutefois, une délocalisation ne s’improvise pas. Pour quitter l’orbite fiscale belge, il faut que le transfert de domicile fiscal soit réel et effectif. Il s’agit d’éviter que l’administration fiscale belge ne considère que le départ est fictif.  En deux mots, il faut couper le plus possible les ponts avec la Belgique.

Cela veut dire qu’il faut également faire attention aux côtés pratiques des choses.

Absolument, il est important de documenter le déménagement au maximum et d’éviter tout élément susceptible d’affaiblir la permanence de la résidence fiscale dans l’Etat d’accueil. Selon une expression bien connue des fiscalistes, il faut avoir dans l’Etat d’accueil “sa pipe, sa brosse à dents et ses pantoufles” !

Prenons l’exemple d’un artiste ou d’un sportif belge qui déménagerait à Monaco. Qu’est-ce que cela implique concrètement ?  

Traverser la frontière, comme l’ont fait il y a plusieurs années le joueur de tennis David Goffin et le cycliste Philippe Gilbert en établissant leur domicile fiscal à Monaco, ne suffit pas. Il faut aussi louer ou acheter un immeuble dans le pays d’accueil (Monaco) et y résider effectivement. Il faut éviter de conserver un pied à terre en Belgique et s’expatrier avec sa famille et scolariser ses enfants dans le pays d’accueil, etc. Pas question de n’avoir qu’une “boîte aux lettres” à Monaco ! S’installer sur “Le Rocher” n’est par ailleurs pas à la portée de toutes les bourses : le prix de l’immobilier y est beaucoup plus élevé que chez nous. Pour le prix d’une villa avec piscine en Belgique, on ne peut s’offrir qu’un modeste appartement là-bas.

Pas question donc de faire les choses à moitié ?

Non, ces précautions sont à mon sens capitales pour conforter la résidence fiscale à Monaco et ainsi limiter le risque de remise en question de celle-ci par le fisc belge. Dans le cas de Shakira, le fait d’avoir déjà acheté en 2012 une maison à Barcelone, et d’être en ménage avec un Espagnol (le footballeur Gerard Piqué, ex-star du FC Barcelone, ndlr) a clairement affaibli son dossier.

Quelles sont les destinations favorites des exilés fiscaux belges ?

On peut citer Monaco, les Emirats arabes Unis, la Suisse, Israël et le Luxembourg. Selon mon expérience, une fois que les candidats à l’exil ont pris conscience des implications concrètes du transfert de domicile fiscal, leur enthousiasme initial laisse souvent place au doute sur leur capacité de changer de vie et de rompre les liens, notamment sociaux, avec la Belgique.

Et si on se fait prendre, que risque-t-on ?

De lourdes sanctions fiscales et pénales peuvent être infligées si le transfert de domicile fiscal n’existe que sur papier. Il suffit de poser la question à Shakira. Bref, si une certaine habileté fiscale est autorisée, elle ne doit pas franchir certaines bornes. La gestion fiscale obéit aux mêmes principes que la consommation d’alcool : l’excès nuit en tout.

Journaliste Trends-Tendances   Sebastien Buron

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