2023/09/12: La Libre: ‘Les alternatives si vous avez loupé le bon d’État Van Peteghem’.

‘Les alternatives si vous avez loupé le bon d’État Van Peteghem’.

Nombreux sont ceux qui ont manqué l’opportunité de souscrire au dernier bon d’État belge aux conditions très allé-chantes après des années de vaches maigres. Dans l’attente d’une hypothétique nouvelle émission, il faut donc aller voir ailleurs, et tenter de se faire assister dans les choix par des spécialistes chevronnés du marché obligataire.

Des pistes en fonction du marché

Althea Spinozzi, senior fixed in- come strategist chez Saxo, comprenez “spécialiste de la stratégie de gestion en obligations”, a une vision très claire de la situation actuelle des marchés financiers. Pour elle, la hausse des taux fait peser une menace sur les actifs à risque, à commencer par les actions. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut abandonner le segment “actions”, mais qu’il est temps désormais de se remettre en chasse pour isoler les obligations de bonne qualité offrant un rendement décent. On vient de le voir avec le succès inattendu du dernier bon d’État, les épargnants belges sont prêts à sauter le pas, et ils disposent des liquidités nécessaires. Le principe en œuvre ? Pendant les années de taux bas ou nuls, on évoquait le syndrome “Tina” pour there is no alternative, ou pas d’alternatives aux actions. Les investisseurs ont pris des risques, mais maintenant, le vent a tourné : il y a à nouveau des alternatives.

Rester en zone euro ?

Pour ceux qui veulent la sécurité et donc des notations financières de première qualité, Althea Spino-zzi évoque notamment la dette autrichienne à court ou moyen terme, comparable à la dette belge, sachant que “l’Autriche (S&P: AA +) affiche une meilleure notation que la Belgique (AA-)”. Mais l’offre du Trésor belge portée par le ministre des Finances reste gagnante en raison de la création de cette niche fiscale qui permet aux citoyens de bénéficier d’un précompte réduit de moitié à 15 %… La spécialiste de Saxo épingle alors la dette italienne. Le rendement brut affiché par les bons du Trésor italien à deux ans tourne autour de 3,80 % mais ils continuent de grimper. Et d’épingler des obligations de l’État allemand, déjà évoquées dans ces colonnes, qui offrent, par leur statut particulier d’obligations à taux zéro cotant sous le pair, des rendements très intéressants.

Stratégie défensive

L’idée de Mme Spinozzi est de construire un véritable poste obligataire défensif, varié sur plusieurs échéances, en tablant sur le fait que la Banque centrale européenne (BCE) devrait bientôt arriver au sommet de son mouvement de resserrement de la politique monétaire. La suite serait donc une baisse progressive des taux d’intérêt à court terme, puis un alignement des taux longs. Ce qui aurait pour effet de renforcer la valeur des obligations détenues.

Rendement assuré

Dans tous les cas, le rendement est assuré, même si les taux devaient rester élevés. Enfin, même si Althea Spinozzi  ne l’évoque pas, les investisseurs qui sont prêts à affronter un risque couvert jusque-là par le parapluie de la BCE, pourquoi ne pas demander aux intermédiaires financiers s’ils ne sont pas capables de dégoter un peu de dette grecque ? Le rendement brut des emprunts d’État grecs à deux ans est proche de 5,80 %, soit un peu plus de 4 % net. La fortune, dit-on, sourit aux audacieux.

La Cour constitutionnelle et l’Europe trouveront- elles à redire à ce bon d’État au succès colossal ?

Une semaine que la souscription au bon d’État à un an du ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (CD&V), s’est terminée  avec le succès phénoménal que l’on connaît: plus de 22 milliards d’euros. Mais cette opération n’a peut-être pas livré tous ses secrets. Outre le fait qu’elle a suscité pas mal de critiques parmi les grandes banques présentes en Belgique, la formule pourrait-elle recevoir d’autres volées de bois vert, de la part de la Cour constitutionnelle et de la Commission européenne? C’est en tout cas ce que pensent une série d’experts fiscalistes, dont l’avocat Denis-Emmanuel Philippe. Le fondateur du cabinet bruxellois Bloom Law estime, en particulier, que deux épées de Damoclès pendent au-dessus de la tête du ministre des Finances et de son magic bond aux caractéristiques particulièrement avantageuses: un rendement net de 2,81 % et la réduction de moitié du précompte mobilier, à 15 %. Un, le jour où sera enfin publiée au Moniteur belge la loi adoptant le précompte mobilier réduit de 15 % sur les bons d’État en question – cette loi doit encore être votée par le Parlement, alors même que la période de souscription est clôturée! – celle-ci pourrait faire l’ob- jet d’un recours en annulation devant la Cour consti- tutionnelle (belge) dans un délai de six mois. Pourrait se poser, en l’espèce, la question d’une éventuelle vio- lation du principe constitutionnel d’égalité en matière fiscale. “Ce principe interdit d’appliquer un régime fiscal différent à des contribuables se trouvant dans des situations comparables. Or ici, le taux de précompte mobilier réduit ne bénéficie qu’aux obligations à un an émises par l’État belge au cours du second semestre de 2023. Les titres de dettes similaires émis par une entreprise belge ou une banque belge ne jouissent pas de ce régime de faveur. Il faut donc constater que cette mesure ne bénéficie qu’à l’État belge, au détriment des autres acteurs sur les mar- chés financiers. En l’absence d’une justification raisonna- ble, il pourrait y avoir violation du principe constitutionnel d’égalité, susceptible de conduire à l’annulation du dispositif par la Cour constitutionnelle”, estime l’avocat fiscaliste. Cet argument pourrait d’ailleurs inspirer le Conseil d’État lorsqu’il s’agira pour lui d’émettre son avis sur le projet de loi du ministre des Finances.

Et la libre circulation des capitaux?

Deux, les regards se tourneront également, ensuite, vers l’Europe. Là aussi, le bon d’État à un an pourrait susciter des critiques. “Un taux de précompte mobilier réduit pourrait constituer une restriction à la libre circulation des capitaux car une telle mesure décourage le placement dans des titres similaires émis par d’autres États membres de l’UE, commence Me Philippe. Mais ce n’est pas tout. L’objectif poursuivi par cette mesure (stimuler la concurrence entre les banques, relever les taux d’intérêt sur l’épargne, NdlR) de nature purement économique, ne pourrait constituer un motif de justification valable à une entrave à la libre circulation des capitaux, suivant la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne”, ajoute l’avocat. Des questions se posent aussi sur la proportionnalité de la mesure par rapport à son objectif initial, selon lui. Ceci dit, malgré ces aspects juridiques fragiles, plusieurs experts, dont Me Philippe, considèrent que la Commission européenne pourrait fermer les yeux sur ce bon d’État, comme elle l’avait fait pour le “bon Leterme”, émis en 2011 et qui offrait également un taux de précompte mobilier réduit à 15 %. Mais pour la Cour constitutionnelle, ce sera sans doute une autre paire de manches… Avec quelles conséquences, in fine? Essentiellement le fait d’empêcher de nouvelles opérations de ce type, sans remettre en cause celle qui vient d’être réalisée, semble-t-il. En effet, la Cour constitutionnelle n’hésite pas à maintenir les effets de la loi qu’elle annule pour le passé. À cela s’ajoute le fait que si elle annule la loi, ce ne sera vraisemblablement pas avant la date du remboursement du bon d’État (avec application du taux réduit).

Journaliste Nicolas Ghislain 

La Libre 12 09 2023 Denis-Emmanuel Philippe

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