2023/06/01: La Libre: ‘La Vivaldi ouvre une brèche sur la taxation des loyers réels’.

En contrôlant beaucoup mieux les loyers perçus par les bailleurs qui louent leur bien à des fins professionnelles, le fisc se dote d’un puissant outil dans la perspective d’une taxation des loyers réels. Près de 20 000 biens seraient concernés.

Les bailleurs, qui louent leur bien immobilier à des fins professionnelles, seront dans le viseur de l’administration fiscale dès l’exercice d’imposition 2024. Mise en exergue par nos confrères de L’Echo et du Tijd en début de semaine, l’information selon laquelle les locataires (entreprises ou particuliers) qui louent un bien à usage professionnel devront remplir une annexe à la déclaration fiscale où ils identifient notamment le propriétaire, l’adresse et les dépenses locatives payées risque de faire du bruit. D’autant qu’elle concerne pas mal de monde. La Libre a pu consulter un document préparatoire des Finances qui servira de base au projet de loi.

On peut y lire que via les données de la Banque carrefour des entreprises (BCE), le cabinet des Finances estime que les déclarations erronées ou omises pourraient concerner près de 20 000 biens loués à des fins professionnelles. Les données remplies obligatoirement par les locataires pourraient ainsi gonfler les recettes fiscales de près de 70 millions d’euros par an en rythme de croisière. Cette mesure, qui a fait l’objet d’un accord en kern lors du conclave budgétaire de la fin mars, fera ainsi partie de l’arsenal de mesures prises pour financer la première partie de la réforme fiscale qui, elle, est encore loin de faire l’unanimité au sein des 7 partis de la Vivaldi.

Bailleurs dans l’ignorance

La Vivaldi met surtout en avant les abus au niveau des déclarations des bailleurs pour justifier cette mesure. Laquelle pourrait être considérée comme un premier pas vers un cadastre des loyers réels, même si les baux doivent déjà en principe être enregistrés (sur MyRent, l’application du SPF Finances). « Dans la majorité des cas, c’est plutôt le fait que les bailleurs soient dans l’ignorance que leurs locataires (professions libérales, indépendants,…) déduisent en tout ou en partie leur loyer de leurs frais professionnels qui pose problème. De nombreux bailleurs, de toute bonne foi, ignorent cette éventualité, et n’adaptent pas leur déclaration », explique Matthieu Possoz, avocat fiscaliste et maître de conférence invité à l’UNamur et à l’UCLouvain. En principe, un contrat de bail de résidence principale ne prévoit pas la déduction de tout ou partie du loyer dans le chef du locataire au titre de frais professionnels. « Et soyons honnêtes, beaucoup ne le savent pas ou se disent qu’on ne remontera pas jusqu’au bailleur », poursuit l’expert.

Le fisc jusqu’ici bien démuni

La collecte automatique et obligatoire de données sera le meilleur des contrôles des déclarations fautives de revenus immobiliers provenant de la location professionnelle. Jusqu’ici, et le SPF Finances le reconnaît dans la note que nous avons pu consulter, l’administration fiscale ne dispose pas des données de base permettant de savoir si un bien immobilier a été loué, le cas échéant, si le locataire utilise le bien à des fins professionnelles et, enfin, le montant brut du loyer perçu par le propriétaire. La nouvelle annexe à la déclaration que le fisc enverra automatiquement aux locataires résoudra ce manque de possibilités de contrôle.

Manque de clarté

Il y a un hic dans toute cette histoire. Sur la base des dispositions fiscales actuelles, si le contrat de bail ne prévoit rien (ou interdit la déduction du loyer par le locataire), le bailleur sera imposé sur le montant intégral du loyer sur la base du loyer réel. « Il en résulte que si mon locataire viole le contrat de bail en déduisant ne fut-ce qu’1% du loyer, je vais me retrouver, en tant que bailleur, imposé à 100% du loyer comme loyer professionnel« , explique Matthieu Possoz. Contacté, le cabinet des Finances explique que « l’absence de bail enregistré ou de rupture du bail a pour effet que le montant intégral (du loyer, NldR) est pris en compte par le bailleur. L’initiative prise aujourd’hui pour améliorer le respect de la loi ne modifie pas les dispositions légales en la matière. La seule modification apportée aujourd’hui consiste à mieux vérifier le respect de l’obligation légale existante par le biais de la demande d’informations ».

Contacté sur cette même question d’une possible taxation sur l’ensemble de loyers perçus en cas d’absence de ventilation dans le contrat de bail entre part privée et part professionnelle, le PS recommande « au propriétaire de ventiler les quotités privées et professionnelles dans le bail afin d’être imposé conformément aux règles propres à l’affectation privée et à l’affectation professionnelle » et relève que « si la loi impose l’enregistrement du bail, elle n’oblige pas les contribuables à respecter la répartition privé/professionnel y figurant. Dans cette hypothèse, c’est bien la réalité des affectations par le locataire qui est déterminante pour établir la taxation ».

Morale de l’histoire ? Un manque de clarté patent sur cette question, qui risque de poser problème à des milliers de bailleurs. Les voilà avertis… « Les propriétaires qui donnent en location des immeubles à des locataires qui prennent en déduction le loyer, à l’insu du propriétaire et/ou en violation du contrat de bail (qui limite l’affectation professionnelle du bien), pourraient être les victimes collatérales de cette nouvelle mesure. Le fisc n’hésitera en effet pas à venir leur réclamer l’impôt sur les loyers. Certes, les propriétaires pourraient se retourner ensuite sur leur locataire. Mais ils se passeraient bien de ce type de démarches… », conclut Denis-Emmanuel Philippe, avocat fiscaliste chez Bloom Law.

Journaliste François Mathieu

Lire aussi l’article dans La LibreLa Libre Denis-Emmanuel Philippe 01 06 2023

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