2023/04/01: L’ Echo: ‘Les plans warrants de plus de 100.000 salariés sont menacés’.

Le projet de réforme fiscale veut supprimer les plans warrants. Ces plans avantageux de bonus salariaux concernent plus de 100.000 salariés. Le secteur bancaire et la pharma sont particulièrement touchés.

La réforme fiscale portée par le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V) prévoit la suppression du régime avantageux des plans warrants. Les plans warrants sont des plans de bonus salariaux bénéficiant d’une exonération de cotisations sociales les rendant particulièrement attractifs. Au départ, ces plans ont surtout profité aux dirigeants et cadres supérieurs des entreprises. Mais ils ont progressivement été étendus à toutes les catégories de personnel. Les grandes entreprises, mais aussi les PME d’une certaine taille y ont de plus en plus recours à des fins d’optimisation salariale. Les derniers chiffres de l’ONSS (2021) font état de 136.000 salariés bénéficiant d’un plan d’option sur actions. Ce chiffre comprendrait les plans warrants ainsi que les plans d’actionnariat salarié, mais les plans warrants sont nettement plus utilisés. Au total, les plans d’options sur actions pèsent 1,42 milliard d’euros.

Les secrétariats sociaux sont en première ligne pour proposer des plans warrants aux entreprises. Chez Securex, on confirme que ce système d’optimisation des salaires rencontre un vif succès. Du côté de SD Worx, on propose ce type d’instrument aux entreprises clientes, pour tous les salariés: « Les warrants ne sont pas seulement réservés aux cadres supérieurs et à la direction », observe Bart Pollentier, directeur du Centre de connaissances de SD Worx. Le secrétariat social regrette la probable suppression du système: « La possibilité d’émettre des warrants dont la valeur sous-jacente est constituée d’actions non cotées en bourse, et le traitement favorable de la sécurité sociale qui y est associé, permettent aux entreprises belges de mieux concurrencer les entreprises étrangères », ajoute Bart Pollentier.

Le secrétariat social propose aux autorités d’encourager, voire de généraliser l’utilisation des warrants, plutôt que de les supprimer. « Nous regrettons que les salariés du secteur privé, la classe moyenne active, semblent devoir payer pour le rêve de réforme fiscale de Vincent Van Peteghem », conclut le représentant de SD Worx.

Un tiers des salariés d’Engie

À peu près tous les secteurs d’activité proposent ce mécanisme à leurs collaborateurs. D’après une source bien introduite, la quasi-totalité des entreprises du Bel20 pratique les plans warrants. Le secteur financier et le secteur pharma en sont particulièrement friands. Chez GSK (9.000 collaborateurs en Belgique), on nous confirme qu’un plan warrants a été mis en place pour la première fois en 2022. Chez Engie, tous les cadres reçoivent des warrants, ce qui représente plus d’un tiers du personnel, soit plus de 2.500 personnes.

Chez IBA, tout le personnel y a accès via un plan de « profit sharing » qui récompense les employés au même titre que les actionnaires. Dans ce cadre, plus des 3/4 des salariés d’IBA, soit 700 personnes environ, optent pour un plan warrants. « Si on supprime ces plans warrants, on retire une mesure qui permet à nos employés d’avoir plus de net en poche, sans qu’il y ait une compensation », commente Christophe Swaenepoel, responsable de la rémunération chez IBA.

Aux Cliniques universitaires Saint-Luc, les plans warrants sont utilisés depuis 15 ans afin d’optimiser le salaire versé aux médecins. Quelque 300 médecins y bénéficient d’un tel plan. « Les médecins des hôpitaux académiques travaillent sous statut salarié, c’est une obligation légale. Vu les charges sociales énormes qui pèsent sur le salaire en Belgique, ils sont déjà désavantagés par rapport aux médecins qui travaillent dans d’autres hôpitaux sous statut indépendant. Les plans warrants, c’est une petite possibilité d’optimisation sociale. Si elle disparaît, l’inégalité va encore plus se creuser avec les collègues d’autres hôpitaux », regrette Philippe Dehaespe, directeur financier des Cliniques Saint-Luc.

Très utilisé dans le secteur bancaire

Dans le secteur bancaire, c’est un mécanisme alternatif de rémunération largement répandu. Chez Belfius (6.500 salariés), tout le personnel percevant une rémunération variable en bénéficie. Chez BNP Paribas Fortis, tous les employés de la banque (10.000 collaborateurs) peuvent bénéficier d’un plan warrants. « Le plan FLECS Warrants@Work, développé au sein de l’entreprise, est un plan de warrants sur un fonds européen ouvert qui permet au collaborateur de vendre immédiatement ses warrants ou de les exercer après une période de blocage de 2 ans », explique le porte-parole de BNPPF, Valery Halloy. Chez Degroof Petercam, (1.500 salariés), de nombreux collaborateurs bénéficient d’un plan warrants. La banque propose aussi ce type de plan à ses clients et défend le maintien du régime actuel: « Nous comptons parmi notre clientèle corporate de nombreuses entreprises qui offrent ce type de programme à tout ou partie de leurs employés dans un but de rétention des talents. En cas de suppression de ce système, c’est le pouvoir d’achat des employés concernés qui serait affecté », estime-t-on chez Degroof Petercam.

Au-delà des cadres dirigeants

Les plans warrants ne sont pas limités à la catégorie des cadres dirigeants. D’après des chiffres fournis par Febelfin, mais qui concernent tous les secteurs, 80% des plans warrants concernent des employés et cadres moyens, seuls 20% concernent des cadres dirigeants. 60% des plans warrants portent sur des bonus inférieurs à 5.000 euros. Par ailleurs, 32% des plans sont mis en place dans des grandes entreprises, contre 68% dans des PME.

Vu sa large utilisation dans le secteur bancaire et au-delà, Febelfin défend le maintien du mécanisme avantageux des plans warrants: « Cet outil de rémunération variable (déjà fortement taxé) est utilisé par de nombreux secteurs afin de permettre aux entreprises de compléter de façon attractive le salaire brut de leurs collaborateurs. Les réformes envisagées, si elles sont concrétisées, auront pour effet de rendre ces instruments de rémunération inefficaces. Elles entraîneront donc de facto la fin de ces instruments. La conséquence directe sera une diminution du salaire net des travailleurs concernés, car il est financièrement impossible pour les employeurs en Belgique de compenser cette perte par un autre outil. La position du secteur bancaire n’est donc pas simplement basée sur le fait que notre secteur utilise cet outil pour ses collaborateurs, mais sur une réalité intersectorielle », réagit Febelfin.

210 millions d’euros de manque à gagner pour les salariés

Les plans warrants sont des plans de bonus salariaux institués il y a une vingtaine d’années, qui bénéficient d’une exonération de cotisations sociales (27 % pour l’employeur, 13,7 % pour l’employé) les rendant particulièrement attractifs.

Dans son article 35/3, l’avant-projet de loi portant la réforme fiscale limite le régime avantageux des plans d’options sur actions aux seuls plans portant exclusivement sur des actions de l’entreprise qui emploie le salarié concerné par le bonus. Or, les plans warrants sont liés à des portefeuilles d’actions de diverses sociétés. Ils peuvent être liés à des indices boursiers comme l’Euro Stoxx 50. L’intention de l’avant-projet de loi est donc bien de sortir ces plans warrants du champ d’application du régime avantageux d’exonération de cotisations sociales. C’est ce que nous a confirmé le cabinet du ministre Van Peteghem. Le cabinet précise cependant que l’ONSS, qui accorde l’exonération de cotisations sociales, doit encore prendre position sur la question. « La question est de savoir si l’exonération sera maintenue pour tous les plans d’options sur actions. Nous pensons que non », indique la porte-parole du ministre.

À la limitation de l’avantage aux seules options (ou warrants) portant sur les actions de l’employeur s’ajoute une condition d’incessibilité. Or, une fois que l’employé reçoit ses warrants, il les cède en pratique immédiatement sur le marché, ce qui lui permet d’empocher un bonus net plus important que si l’employeur lui avait octroyé directement un bonus en cash. « En réduisant le champ d’application de la loi de 1999 à des options incessibles portant sur les actions de l’employeur, le projet de réforme vient faire échec à l’attrait de ce mode de rémunération », confirme l’avocat Denis-Emmanuel Philippe (Bloom Law).

L’attractivité du régime provient donc de l’exonération de cotisations sociales. La différence est de l’ordre de 20%, d’après Françoise Platteborse, managing director de BlueTrees, société active dans l’optimisation des bonus salariaux. La spécialiste a pris comme base de calcul un bonus de 1.270 euros (coût employeur). Dans ce cas de figure, l’employé touche un bonus brut de 1.000 euros. Avec un plan warrants, il conserve 591 euros en net. S’il touche ce même bonus en cash, il ne perçoit que 404 euros.

Françoise Platteborse a également étudié l’impact de la réforme fiscale sur les bonus touchés par les employés en Belgique. Elle estime le manque à gagner pour les 136.000 salariés concernés à 210 millions d’euros. « À écouter le ministre des Finances, ce serait compensé par le rehaussement de la tranche IPP de 46.440 euros à 60.000 euros. C’est totalement faux: ce rehaussement ne rétrocède que 57 millions d’euros aux travailleurs. Toutes les tranches salariales sont perdantes! », insiste Françoise Platteborse.

Le résumé

  • Le projet de réforme fiscale veut supprimer les plans warrants.
  • Ces plans avantageux de bonus salariaux concernent plus de 100.000 employés.
  • Le secteur bancaire et la pharma sont particulièrement touchés.
  • Le manque à gagner pour les salariés concernés est estimé à 210 millions d’euros.

Journaliste Gilles Quoistiaux

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Journal digital _ L’Echo 03 04 2023

 

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