2023/02/05: L’Echo: ‘Régularisations fiscales: l’étau se resserre sur les banques et les contribuables.’

Les procédures anti-blanchiment des banques lors de rapatriements de capitaux non déclarés montrent certaines lacunes. Pour ceux qui ont réalisé une régularisation partielle, le risque de poursuites pour blanchiment est réel.

Une question parlementaire adressée il y a dix jours au ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V) a laissé apparaitre que les procédures internes des banques pour prévenir le blanchiment dans le cadre des régularisations fiscales (DLU) laissaient à désirer.

Dans une circulaire datée du 8 juin 2021, la Banque nationale (BNB) invite en effet les banques à vérifier l’origine des fonds rapatriés à l’occasion des DLU précédentes et à faire une déclaration à la CTIF (cellule de lutte contre le blanchiment) dans l’hypothèse où un doute subsisterait quant à leur origine licite. C’est le principe du « look back ».

Or, d’après la Cour des comptes, 44,6 milliards d’euros de capitaux (chiffre de 2021) ont été rapatriés sur des comptes belges lors des vagues de régularisations précédentes. Celles-ci étaient toutefois incomplètes, puisque seulement 2,59 milliards d’euros ont fait l’objet de prélèvements. Ceci s’explique par le fait que les régularisations ne couvraient que les revenus mobiliers des sept dernières années (dividendes, intérêts) et non les capitaux fiscalement prescrits sous-jacents (par exemple, une succession non déclarée d’un parent décédé il y a 25 ans). Cette manne financière pourrait venir renflouer les caisses de l’État dans le contexte budgétaire que l’on connait.

Lacunes auprès des banques

D’après les chiffres communiqués par le ministre des Finances, la BNB a examiné 53 rapports d’audit interne. Elle a constaté que la qualité de l’audit interne était insuffisante dans 4 cas. Un score très mauvais a même été octroyé au rapport d’audit de deux institutions financières, dont l’identité n’a pas été rendue publique.

Par ailleurs, 43 institutions financières ont mis sur pied un plan d’action afin de remédier aux insuffisances révélées par l’audit interne. Dans 21 plans d’actions, un examen approfondi concernant l’origine des capitaux rapatriés a été requis par la BNB (look back). Cet exercice doit être effectué au plus tard pour le 30 juin 2023.

« Ces chiffres montrent que les procédures anti-blanchiment internes de certaines banques présentent encore de sérieuses lacunes », estime Denis-Emmanuel Philippe, avocat-associé chez Bloom.

Chez Febelfin, la fédération du secteur financier, on note au contraire qu’une très grande majorité des banques ont préparé le rapport d’audit de manière satisfaisante. « Seuls environ 2% des banques ont reçu une note insuffisante et doivent procéder à un nouvel audit. Il s’agit d’un ratio positif. »

Febelfin précise qu’elle ne peut pas, de son côté, commenter les dossiers individuels pour lesquels un plan d’action a été mis en place par la banque, n’étant pas informée du contenu de ces dossiers. « Mais de manière générale, nous pouvons dire que le secteur a coopéré dans l’exercice de sa fonction de gardien dans la lutte contre le blanchiment d’argent, conformément à la circulaire de la BNB », indique encore la fédération.

Le ministre des Finances se contente pour sa part d’affirmer que la vigilance accrue imposée aux institutions financières et « les opérations de look back de la BNB sont vraisemblablement à l’origine de l’augmentation des dénonciations de soupçons à la CTIF » et que « la CTIF transmet de plus en plus de dossiers au parquet ».

Risques de poursuites

Vu la pression accrue qui s’exerce sur les banques, quel est le risque pour le client qui a opéré une régularisation d’être poursuivi par le parquet et condamné pour blanchiment? À cet égard, un arrêt de la Cour d’appel de Gand (rendu le 22 novembre 2022, mais pas encore publié) a donné l’absolution à la banque KBC qui a recueilli les capitaux rapatriés et à l’avocat de la famille qui a rapatrié les capitaux.

En l’espèce, la famille d’entrepreneurs flamands Engels avait rapatrié des capitaux de la Suisse vers la banque belge KBC. Poursuivis en tant que co-auteurs, la banque et l’avocat de la famille qui ont été acquittés. Pour la Cour, l’intention de déguiser ou dissimuler l’origine des avoirs, faisait défaut.

« C’est la première fois qu’une Cour d’appel décide que l’élément moral de l’infraction de blanchiment n’est pas établi, en se fondant notamment sur le manque de clarté qui existait à l’époque autour de la question de savoir si une régularisation partielle pouvait entrainer ou non des poursuites pour blanchiment », explique Denis-Emmanuel Philippe.

Il tempère cependant la portée de cet arrêt. « Les faits du cas d’espèce sont particuliers: il s’agit d’un vieux patrimoine, la famille a fait preuve de transparence suite à la régularisation, et une branche de la famille a conclu une transaction pénale. Il faut dès lors se garder de conclure trop hâtivement que tous ceux qui ont fait une régularisation partielle ne doivent plus craindre de poursuites pénales. »

Plus important encore, selon lui, si la régularisation partielle a été faite dans le cadre de la DLU quater, il sera bien plus difficile de démontrer que l’élément moral de l’infraction de blanchiment n’était pas présent.

À cela s’ajoute que les banques vont transmettre de plus en plus de dossiers de régularisations à la CTIF, parce qu’elles ne veulent pas avoir d’ennuis. Comment dès lors se mettre à l’abri et dormir tranquille? « En procédant à une régularisation (supplémentaire), ce qui est encore possible jusqu’au 31 décembre 2023, moyennant le paiement d’un prélèvement de 40% pour les capitaux fiscalement prescrits », répond l’avocat de Bloom.

À partir de 2024 et sauf décision politique contraire, on ne pourra plus rien régulariser. À défaut, ce serait s’exposer à des risques de poursuites, sachant que la CTIF a transmis un grand nombre de dossiers au parquet. À cet égard, l’avocat prévient que le risque de poursuites est plus important en Flandre. « Les poursuites pour blanchiment de fraude fiscale sont bien plus nombreuses au nord – en particulier à Gand – qu’au sud du pays… »

Le résumé

  • La pression sur les banques augmente pour qu’elles dénoncent les dossiers pour lesquels l’origine licite des capitaux rapatriés n’est pas établie.
  • La portée d’un récent arrêt de la Cour d’appel de Gand qui absout une banque doit être tempérée.
  • À moins de régulariser en s’acquittant de la pénalité de 40% sur les capitaux rapatriés, le contribuable s’expose à des poursuites pénales.

Journaliste Jean-Paul Bombaerts

Lire aussi mon article :

Régularisations fiscales 04 02 2023

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