2022/11/30: L’Echo: ‘Le régime d’options sur actions est-il encore avantageux?’

Collibra vient de passer sous les couleurs néerlandaises en se faisant racheter par un holding établi à Amsterdam, CNV Newco. L’entreprise de big data justifie principalement cette délocalisation juridique par le régime belge des options sur actions, que le CEO Felix Van de Maele juge trop strict pour « rester compétitifs sur la durée en termes de l’attractivité d’employeur ». Il loue au contraire la « flexibilité » que lui offre la fiscalité néerlandaise.

Felix Van de Maele n’est pas le seul à critiquer les règles belges en la matière. Il y a quelques mois, les patrons des entreprises de tech belges Deliverect et Showpad ont jugé que les règles rendent la « tâche laborieuse et compliquée » pour l’employeur, tandis que pour le salarié, c’est « un cadeau empoisonné ».

Quel est donc ce régime belge de stock options qui aurait fait fuir un de nos fleurons de la tech? Est-il seulement encore avantageux?

Comment fonctionnent les stock options ou plans d’option?

Le plan d’option sur actions est un avantage extralégal qui permet de rémunérer les employés – généralement les cadres supérieurs – sur base d’une récompense corrélée aux résultats de l’entreprise, à un coût fiscal très attractif. L’employeur offre la possibilité à une partie ou à l’ensemble de ses employés de souscrire à un certain nombre d’actions de l’entreprise, pour un prix déterminé à un moment déterminé: le prix d’exercice. Si l’employé accepte les options du plan, il devra payer l’impôt dû au moment de l’octroi des options, c’est-à-dire au 60e jour qui suit la date de l’offre.

Le salarié peut réellement acheter l’action à ce prix après un laps de temps prédéterminé (souvent cinq ans). Il peut alors « lever » l’option. Si l’action a pris de la valeur lors de ce laps de temps, le salarié fait donc un bénéfice. Mais il peut également choisir de conserver l’action, en espérant que son cours monte encore davantage.

Le vendeur des actions est souvent, mais pas nécessairement, l’employeur. Généralement, l’option est attribuée à titre gratuit.

Comment est taxé l’employé sur les stock options qu’il reçoit?

Lorsque l’action sous-jacente n’est pas cotée (ce qui est le cas pour les sociétés du groupe Collibra), l’avantage imposable est forfaitairement fixé à un pourcentage de la valeur, au moment de l’offre, des actions sur lesquelles porte l’option. Cet impôt sera calculé de manière forfaitaire suivant une imposition de base de 18% de la valeur totale des actions (+ 1% par an lorsque la période d’exercice dépasse la limite de cinq ans). Cependant, le pourcentage est réduit de moitié (soit de 18% à 9%) lorsque certaines conditions sont réunies.

« L’avantage fiscal réside dans le double fait que, non seulement, il est valorisé de manière forfaitaire, mais en outre, lorsque l’employé exerce ses options et revend ses actions, il n’est pas imposé sur la plus-value réalisée sur actions », explique Denis-Emmanuel Philippe, avocat chez Bloom. « C’est bien là l’attrait des stock options: vous recevez un avantage, et vous êtes taxés de façon relativement faible dessus. »

Contrairement à la plupart des autres États membres de l’UE, la Belgique ne fixe donc pas le moment imposable au moment de l’exercice effectif de l’option. « L’avantage forfaitaire est taxé de manière irrévocable: si la valeur des actions chute après l’attribution des options (de sorte que les options ne sont pas exercées), aucune restitution de l’impôt n’est possible. Là est la mauvaise surprise ou le cadeau empoisonné. Si la valeur de l’action chute après l’octroi, le salarié subit un terrible châtiment! », prévient Denis-Emmanuel Philippe.

Est-ce un régime contraignant?

À écouter les patrons de la tech, le système belge de stock options semble lourd et contraignant. « C’est vrai que nous avons toute une série de règles contraignantes en la matière », indique Olivier Marcq, expert juridique chez Acerta. « Il faut déposer un plan sur actions, remplir tout un formulaire, le présenter aux employés, le faire valider par les bénéficiaires, et il y a des délais à respecter avant de pouvoir acheter l’action. »

Felix Van de Maele déplore d’ailleurs que l’exercice des options soit limité à des périodes spécifiques en Belgique, ce qui n’est par exemple pas le cas aux États-Unis. Ce serait donc un frein potentiel pour attirer les travailleurs. « Nous avons récemment fait une enquête récente pour nos clients, et c’est effectivement quelque chose qui n’a pas énormément de succès, avec pour justification un excès de formalités », déclare Olivier Marcq.

C’est vrai que le régime fiscal belge des stock options est plutôt complexe et assez lourd », confirme Denis-Emmanuel Philippe. « Il y a toute une série de conditions à remplir, et il peut se transformer en cadeau empoisonné pour l’employé si la valeur de l’action après l’octroi des options commence à baisser. Mais à mon avis, ce qui a joué aussi dans la décision des dirigeants du groupe Collibra, c’est la perspective d’un durcissement du régime fiscal des stock options, annoncé cet été par le ministre des Finances. »

Dans sa note d’épure, Vincent Van Peteghem (CD&V) prévoit ainsi que toutes les formes de revenus professionnels devraient être imposées de la même manière, quelle que soit la méthode de rémunération (paiement en cash ou « en nature »). La note prévoit ainsi de modifier le régime des « avantages de toute nature » (ATN), de manière à ce qu’ils soient évalués de la manière la plus proche possible de leur valeur réelle. Seraient donc visées de plein fouet les stock options.

Une réforme fiscale qui écorne les holdings

En outre, « d’autres considérations fiscales ont dû jouer dans la restructuration de Collibra », estime Denis-Emmanuel Philippe: l’instabilité fiscale de la Belgique. « Dans sa récente note pour une ‘réforme fiscale plus large’, le ministre des Finances entend écorner notre régime fiscal des holdings. Si le régime belge est devenu l’un des plus attrayants au sein de l’Union européenne, la donne pourrait fort bien changer », prévient l’avocat.

Le gouvernement a en effet chargé le ministre des Finances de préparer une première série de mesures s’inscrivant dans le cadre de la « réforme fiscale plus large ». Parmi celles-ci, Vincent Van Peteghem propose de supprimer un certain nombre de niches fiscales. « Il entend notamment durcir le régime fiscal des holdings, ce qui permettrait de renflouer les caisses de l’État à hauteur de pas moins de 750 millions euros en rythme de croisière! », indique Denis-Emmanuel Philippe. « En cas d’adoption des mesures qui sont actuellement sur la table, notamment le rejet de la déduction des charges de financement et l’instauration d’une condition d’immobilisation financière, il est à craindre que la Belgique perde sa place dans le peloton de tête des terres d’accueil des holdings. »

Tandis que de l’autre côté de la frontière, « le système fiscal et de sécurité sociale néerlandais est beaucoup plus intéressant qu’en Belgique », souligne le juriste Olivier Marcq. « Le régime néerlandais de sécurité sociale est moins cher pour l’employeur et plus intéressant pour le travailleur, il est donc plus facile de les attirer au sein de votre entreprise. » En d’autres mots, en déménageant chez nos voisins néerlandais, Collibra ne cherchait pas seulement un meilleur système de stock options, mais un meilleur système fiscal tout court.

Journaliste Sonia Romero Ruiz 

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