2022/11/26: L’ Echo: ‘Combien vous coûtera la réforme des droits d’auteur?’

Nouvelles conditions, nouveaux plafonds:

La réforme du régime des droits d’auteur limite l’accès à cette niche fiscale avantageuse.

Voici les règles pour encore en bénéficier.

La réforme fiscale des droits d’auteur a fait l’objet d’un accord le 18 novembre dernier.Vincent Van Peteghem (CD&V), ministre des Finances à l’origine du texte, voulait mettre un terme aux abus liés à cette niche fiscale avantageuse dont les demandes de rulings ont bondices dernières années, entrainant une explosion des dépenses liées à ce régime pour l’État,celles-ci étant passées de 108 millions en 2013 à quelque 456 millions en 2021.
«Même si l’on ne peut pas toujours parler d’abus, il faut reconnaître que le dispositif étaitutilisé dans un nombre de plus en plus important de cas, notamment dans des secteurs éloignés des professions/secteurs visés initialement par le régime, à savoir les professions artistiques, recueillant des revenus modestes de manière irrégulière et aléatoire», expliquel’avocat fiscaliste Denis-Emmanuel Philippe (Bloom).

Le régime actuel

Le régime fiscal des droits d’auteur créé en 2008 et utilisé dans de nombreuses professions(artistes, écrivains, journalises, architectes, développeurs, informaticiens…) est un régime fiscal très avantageux.
Concrètement, les revenus de droits d’auteur, auxquels on applique des frais forfaitaires allant jusqu’à 50%, sont considérés comme des revenus mobiliers taxés au taux de 15%, sous un plafond annuel indexé qui s’élève à 64.070 euros en 2022. «Le législateur a fait le choix en 2008 d’attribuer un taux de taxation différent pour les revenus de droits d’auteur des autres revenus mobiliers, qui sont en général taxés à 30% (dividendes, intérêts…)», rappelle Sébastien Watelet, avocat fiscaliste chez LawTax.

Quelles oeuvres tombent dans le régime des droits d’auteur?

Pour qu’une oeuvre tombe dans ce régime fiscal, elle doit remplir deux conditions. La première étant qu’il faut avoir créé une oeuvre protégée par le droit d’auteur. «Il s’agit des oeuvres littéraires ou artistiques exprimées dans une certaine forme, qui sont originales etmarquées de l’empreinte de l’auteur. Autrement dit, l’auteur doit avoir fait des choix libres etcréatifs dans le cadre de la création de son oeuvre. La notion d’oeuvre est donc très large»,conçoit Me Watelet. La seconde condition étant que l’auteur doit décider de transférer les droits d’exploitation de cette oeuvre à un tiers.
«Si vous êtes journaliste, vous percevez une rémunération (votre salaire ou une rémunération pour les indépendants, NDLR) pour votre travail qui consiste en la rédaction d’articles (vos oeuvres). Et si vous cédez vos droits d’auteur à votre employeur ou à un éditeur, qui les exploite ensuite, vous tombez dans le champ d’application du régime fiscal des droits d’auteur et percevez alors un montant pour les avoir cédés, et c’est ce montant qui sera taxable au taux de 15% après déduction des frais forfaitaires», détaille Sébastien Watelet.
Votre rémunération, elle, est considérée comme un revenu professionnel et est imposée aux taux progressifs par tranches allant jusqu’à 50%. Par contre, si vous êtes journaliste indépendant et décidez d’exploiter vous-même votre oeuvre sur un blog personnel, vous necédez pas vos droits et ne tombez donc pas dans le régime fiscal des droits d’auteur.

Ce que la réforme fiscale change

La réforme fiscale ne touche pas au taux d’imposition des droits d’auteur, qui s’élèvera toujours à 15% après déduction des frais forfaitaire. Le texte de loi introduit par contre une condition supplémentaire ainsi que deux nouvelles limites – qui s’ajoutent à une limite existante dans la loi de 2008 – pour prétendre à ce régime fiscal avantageux.

1 Exploitation de l’oeuvre

Les oeuvres relevant du droit d’auteur devront désormais faire l’objet d’une exploitation.
Me Denis-Emmanuel Philippe détaille: «Afin de restreindre le champ d’application du régime, la loi-programme introduit une obligation de produire une attestation d’artiste. À défaut de cette attestation, il faut alors satisfaire l’obligation d’un transfert de l’oeuvre à un tiers en vue d’une diffusion de l’oeuvre au public ou d’une reproduction.» Pour le fiscaliste,cette nouvelle condition vient fermer les portes du régime aux professionnels qui créent des oeuvres, sans que celles-ci soient diffusées auprès du public. «Par exemple, un architecte qui fait des plans pour la villa d’un client, ou un concepteur de logiciels, lorsqu’il en est fait un usage interne», illustre l’avocat.
Concernant le secteur IT, cette réforme crée une forme d’insécurité juridique: de fait, «le nouveau projet de loi-programme ne renvoie plus qu’aux droits d’auteur et aux droits voisinsvisés au (seul) Titre 5 du livre 11 du Code de droit économique. Il ne fait donc plus référence,contrairement au régime actuel, aux autres titres du livre 11, en particulier les Titres 6 et 7,qui portent respectivement sur les programmes d’ordinateur (logiciels) et les bases de données. Cette modification technique n’est à mon avis pas anodine. Le ver est dans le fruit. Même si cela ne ressort nullement des travaux préparatoires, l’ambition du gouvernement est sans doute de vouloir exclure du régime certains secteurs «trop éloignés» des véritables métiers artistiques, notamment le secteur IT», ajoute Denis-Emmanuel Philippe.

Exemple

Admettons que Jean, informaticien salarié célibataire sans enfants,bénéficie actuellement du régime des droits d’auteur. Il perçoit un salaire de 36.000 euros/ancomplété de 12.000 euros/an de droits d’auteur (taxables distinctement à 15%). Il est redevable d’un impôt des personnes physiques avoisinant 10.000 euros dans le systèmeactuel. S’il ne peut plus bénéficier de ce régime, Jean percevra 48.000 euros/an (36.000 euros+ 12.000 euros) de rémunération au titre de revenu professionnel. Il sera redevable d’un impôt d’environ 15.000 euros suite à la réforme fiscale, soit une majoration d’impôt d’environ 5.000 euros.

2 Ratio de 30%

Le texte du ministre des Finances plafonne à 30% les revenus relevant du droit d’auteur. En d’autres termes, ce type de revenu ne peut excéder 30% de l’enveloppe totale de la rémunération d’un contribuable. «Ce plafond vise en réalité à freiner l’utilisation du régimedes droits d’auteur lorsqu’une prestation professionnelle coexiste avec la création d’une oeuvre artistique ou littéraire», explique Denis-Emmanuel Philippe. De fait, si la création d’une oeuvre artistique n’est pas accompagnée d’une prestation professionnelle, autrement dit n’a pas été commandée par un employeur ou un éditeur, par exemple, le plafond de 30% nes’applique pas. C’est le cas d’un écrivain qui écrit un roman puis trouve un éditeur qui accepte de le publier (il ne fournit pas une prestation/une commande à côté de son oeuvre littéraire).

Exemple :

Alex est journaliste indépendant etgagne 75.000 euros par an. Il perçoit 23.000 euros de droits d’auteur. Après la réforme, s’il affecte ses droits d’auteur à l’exercice de son activité professionnelle, le montant pouvant bénéficier du régime des droits d’auteur sera limité à 22.500 euros (30% de 75.000 euros).Dans ce cas, le montant excédentaire, soit 500 euros, ne tombe plus dans le régime fiscal avantageux. Ces 500 euros seront imposés aux taux progressifs par tranches comme revenus professionnels. «C’est alors à la charge de l’administration fiscale de prouver qu’il s’agit de revenus professionnels et de requalifier ces 500 euros en ce sens», prévient l’avocat de Law Tax.

Sébastien Watelet, de son côté, déplore l’instauration d’un tel ratio qui, explique-t-il, ne donne plus aucune marge quant à la valeur de l’exploitation qui est faite d’une oeuvre. «Lorsqu’un photographe travaille deux jours sur la nouvelle campagne Chanel et vend ses droits d’exploitation à la marque qui va utiliser ses photos sur tous les supports, la valeur de ses droits d’auteur est nettement plus importante que la valeur de son travail. Le client va alors facturer 80.000 dollars de droits d’auteur et 2.000 dollars de prestation. Mais, avec la réforme,il n’aura plus de marge pour moduler la valeur d’exploitation qui en est faite.»

3 Plafond

En 2008, le législateur a déjà introduit un plafond (indexé) pour limiter le montant maximal de droits d’auteurs soumis au taux de 15%. Il s’élève à 37.500 euros, indexés en 2022 à 64.070 euros.

Exemple

Notre journaliste Alex, qui gagne 75.000 euros par an, doit également veiller à ne pas dépasser le plafond de 64.070 euros (en 2022) de droits d’auteur perçus par an. S’il les dépasse, le montant excédentaire sera, comme pour le ratio de 30%, taxé commedes revenus professionnels aux taux progressifs par tranches, mais uniquement lorsqu’il a affecté ses droits d’auteur à l’exercice de son activité professionnelle.

4 Moyenne des 4 derniers exercices

«La réforme fiscale ajoute une forme de «super contrôleur» afin de réserver ce régime avantageux à des revenus irréguliers et aléatoires, notamment pour les artistes», prévient Sébastien Watelet. «Il est en effet prévu de subordonner l’application de l’avantage fiscal(taxation comme revenu mobilier jusqu’à 64.070 euros), à la condition que le revenu brutmoyen annuel des droits d’auteurs et des droits voisins qui ont été perçus au cours des quatreexercices d’imposition antérieurs n’excède pas le montant de base de 37.500 euros indexé»,appuie Me Philippe.

Exemple

Les revenus bruts de droits d’auteur d’Alex s’élèvent à 40.000 euros pour la période imposable 2023. Le revenu brut moyen pour les quatre périodes imposables précédentes (2022, 2021, 2020 et 2019) était, lui, de 68.000 euros. En admettant que la limite pour 2023 soit identique à celle de 2022, soit de 64.070 euros (ce montant serain dexé mais nous ne le connaissons pas encore), le régime des droits d’auteur ne s’appliquedès lors plus aux 40.000 euros recueillis en 2023, qui sont désormais imposables pleinement comme des revenus professionnels (mais uniquement lorsqu’il a affecté ses droits d’auteur à l’exercice de son activité professionnelle). Si, lors de l’exercice suivant (2024), la moyenne du revenu brut des quatre dernières périodes imposables, en ce compris 2023, est inférieure àla limite en vigueur cette année-là, les revenus de droits d’auteur de 2024 tomberont à nouveau dans le régime fiscal des droits d’auteur.

Régime transitoire

Une disposition transitoire est prévue afin de permettre aux contribuables de s’adapter aux nouvelles règles. Le plafond de 30% ne rentrera pas tout de suite en vigueur. Il s’élèvera d’abord à 50% pour l’exercice d’imposition 2024, puis il sera ramené à 40% pour l’exercice d’imposition 2025 et c’est seulement à partir de l’exercice d’imposition 2026 que le taux de30% sera définitivement applicable.
«Le projet de loi prévoit un régime transitoire pour les contribuables qui peuvent encore bénéficier du régime actuel, mais qui ne pou rront plus bénéficier du nouveau régime à partir de l’exercice d’imposition 2024 (revenus 2023). Ces contribuables pourront encore bénéficier pour un an du régime de droits d’auteur, mais sous une forme réduite: le plafond de37.500 euros (indexé) et le forfait de frais seront diminués de moitié. À partir de l’exercice d’imposition 2025, le nouveau régime sera entièrement applicable», conclut Denis-Emmanuel Philippe.

Journaliste Mathilde Ridole
Journal digital _ L’Echo 26 11 2022 Denis-Emmanuel Philippe

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