2022/08/31: L’ Echo: ‘Taxe sur les surprofits: consensus politique et blocage juridique.’

La taxation des surprofits réalisés par les entreprises énergétiques sera à la table du Codeco. Ne rencontrant plus d’obstacles politiques majeurs, la mesure se frotte désormais à un grand défi juridique.

Personne ne peut s’enrichir grâce à la crise. » La maxime, devenue récurrente, de la ministre de l’Énergie Tinne Van der Straeten (Groen) s’est depuis peu étendue aux autres partis de la majorité, au point de friser le consensus. Malgré tout, face à l’explosion incontrôlable des prix de l’énergie et de la facture, la taxation des surprofits est devenue l’une des pistes privilégiées du gouvernement De Croo, malgré les réticences (peu surprenantes) du patronat à lui emboîter le pas.

Mais entre l’envie et l’application, un fossé juridico-technique considérable est à combler. Si, d’après les cabinets ministériels, tout le monde ou presque s’accorde à reconnaître la solution comme incontournable, il s’agit désormais de parvenir à un plan crédible pour une mise en œuvre à temps de cette taxe additionnelle. Et, à la veille d’un Codeco qui ne manquera pas d’aborder la chose, le chemin s’annonce extrêmement tortueux.

De quoi parle-t-on?

Commençons par un bref rappel des faits. Par « surprofits », il faut comprendre les bénéfices réalisés à la suite d’un événement extérieur (en l’occurrence, l’explosion des prix du gaz sur les marchés de gros et son impact positif sur le secteur énergétique). Et, au regard des résultats mirobolants publiés dernièrement par les producteurs et exploitants de centrales énergétiques, il fait peu de doute que de tels « surprofits » sont à épingler en Belgique.

Mais la question n’est pas nouvelle. À la demande de la ministre de l’Énergie, la Creg, le régulateur du secteur, s’était déjà penchée sur la question en début d’année. Sa conclusion: des surprofits identifiés pour le nucléaire, estimés entre 1,2 et 1,4 milliard d’euros sur l’année 2022, des bénéfices opérationnels chiffrés à 382 millions pour les centrales à gaz mais aucun bénéfice excédentaire pour l’éolien offshore. À noter que Tinne Van der Straeten a commandé une mise à jour de ces estimations à la Creg, qui les inclura dans une publication à paraître dans le courant du mois de septembre.

Parcours du combattant

Mais qu’importe les résultats de l’estimation nouvelle de la Creg, la mise en place concrète d’une taxation des surprofits reste des plus délicates à instaurer. En juillet déjà, la proposition de la ministre de l’Énergie de taxer à 25% l’augmentation de la marge brute en 2022 par rapport à 2021, s’inspirant ainsi de la mesure prise en Italie – en qualité de « contribution de crise non récurrente » – avait été tuée dans l’œuf par le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (CD&V), en raison de sa trop grande difficulté à mettre en œuvre.

Depuis, la ministre Groen a eu le temps de retourner la question dans tous les sens, au point qu’elle resurgit à la veille d’un hiver de tous les défis. « Il est clair que ce n’est pas simple. Politiquement, tout le monde a l’air d’accord mais il reste le côté technique à aborder », nous glisse-t-on en coulisses.

Pour se donner les moyens de ses ambitions – et pour voir concrètement ce qu’il est possible de faire – la ministre a même mandaté un cabinet d’avocats spécialisé. Ce qui est sûr, c’est que la mesure ne sera pas actionnable facilement, d’autant plus que les entreprises ciblées lutteront, brandissant l’illégitimité d’un gouvernement à taxer deux fois les profits réalisés (en plus de l’impôt des sociétés). Un argument qui a particulièrement du poids dans le cas d’Engie, l’exploitant des centrales nucléaires, qui doit s’acquitter, en plus de l’impôt des sociétés, de la rente nucléaire, dont le montant s’est élevé à un niveau record de 785 millions d’euros pour l’année 2021. Une donnée importante à prendre en compte, puisqu’elle s’accompagne de contrats contraignants signés avec l’exploitant, qu’il faudrait « casser » avant de pouvoir envisager de modifier la rente pour y adjoindre, par exemple, une contribution de crise.

En outre, ce qui fragilise le projet de mesure est sa nature discriminante par rapport aux autres secteurs. « La clé pour la ministre de l’Énergie sera de justifier de façon objective et raisonnable pourquoi cibler les entreprises du secteur énergétique et pas les autres », indique Denis-Emmanuel Philippe, avocat fiscaliste au cabinet Bloom. « Si elle n’y parvient pas, alors la taxe aura toutes les chances d’être annulée par la Cour constitutionnelle. Et s’il y a bien une certitude dans ce débat, c’est que les entreprises du secteur énergétique visées ne manqueront pas, dans l’éventualité où pareille taxe serait adoptée par le Parlement, d’introduire un recours en annulation devant la Cour constitutionnelle », ajoute-t-il.

Pour l’avocat, la taxe n’est donc pas impossible à mettre en œuvre, même si elle risque de se heurter à des obstacles juridiques. « Si la ministre parvient à faire approuver la taxe au Parlement, elle devra continuer à vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête pendant quelques années, dans l’attente du verdict de la Cour constitutionnelle », pointe-t-il. En effet, en cas d’annulation, le principe de rétroactivité contraindrait alors l’État à rembourser l’entièreté de la taxe, sauf si la Cour décidait de maintenir les effets du passé, ce qui est rare.

Le résumé

  • Longtemps débattue au sein du gouvernement, la taxe sur les surprofits réalisés par les entreprises énergétiques approche d’un consensus politique.
  • Cependant, l’aspect juridique de la mesure en refroidit certains.
  • Responsable du dossier, la ministre de l’Énergie a mandaté un cabinet d’avocats spécialisé pour se pencher sur la question.
  • Pas impossible à mettre en œuvre, la taxe sur les surprofits devra cependant être justifiée objectivement afin d’éviter une annulation par la Cour constitutionnelle.

Journaliste Maxime Vande Weyer

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