2022/12/03: L’Echo: ‘Stock-options: l’attractivité de la Belgique mise à mal’.

L’affaire Collibra dépasse le cadre strict du traitement fiscal des stock-options. À force de s’attaquer à certains régimes incitatifs, la réputation du pays auprès des investisseurs risque de s’éroder.

Coup de tonnerre, mardi dernier, lorsque l’entreprise belge de big data annonce son passage sous pavillon néerlandais en se faisant racheter par un holding établi à Amsterdam, CNV Newco. Motif invoqué: le régime belge des options sur actions (stock-options) est jugé trop strict pour « rester compétitif sur la durée en termes d’attractivité », dixit le CEO de Collibra Felix Van de Maele. Il loue au contraire la « flexibilité » du régime néerlandais.

Argument pertinent ou prétexte? Avant de répondre à cette question, rappelons d’abord le principe des stock-options. C’est un avantage extralégal qui permet de rémunérer l’employé sur base des résultats de l’entreprise, à un coût fiscal attractif. L’employeur offre la possibilité à l’employé de souscrire à des actions de l’entreprise, pour un prix déterminé. Si l’employé accepte la proposition, il paiera l’impôt dû au moment de l’octroi des options. Le salarié pourra alors acheter l’action au prix convenu après un certain temps (souvent cinq ans). Si l’action a pris de la valeur entre-temps, le salarié réalise une plus-value sur laquelle il n’est pas taxé.

Formaliste et complexe?

À entendre certains patrons de la tech, le système belge de stock-options est lourd et contraignant. « C’est vrai que nous avons toute une série de règles contraignantes en la matière », admet Olivier Marcq, expert juridique chez Acerta. « Il faut déposer un plan sur actions, remplir un formulaire, le présenter aux employés, le faire valider par les bénéficiaires, et il y a des délais à respecter avant de pouvoir acheter l’action. »

Le régime fiscal belge des stock-options est plutôt complexe et assez lourd », confirme Denis-Emmanuel Philippe, avocat chez Bloom. « Il y a toute une série de conditions à remplir, et il peut se transformer en cadeau empoisonné pour l’employé si la valeur de l’action commence à baisser. Mais à mon avis, ce qui a joué aussi dans la décision des dirigeants du groupe Collibra, c’est la perspective d’un durcissement du régime fiscal des stock-options, annoncé cet été par le ministre des Finances. »

Jusqu’ici, le ministre ne s’est guère montré loquace sur les modalités précises d’un tel durcissement, si ce n’est qu’il compte économiser par ce biais la coquette somme de 300 millions d’euros.

Gunther Valkenborg, avocat auprès du cabinet MVVP, s’étonne un peu que Collibra ait décidé de migrer aux Pays-Bas pour la seule question du traitement fiscal des stock-options. « Le régime belge n’est pas beaucoup plus rigide que le régime néerlandais. Et contrairement à la France et au Luxembourg, le régime belge n’impose pas d’informer préalablement l’administration fiscale de l’existence d’un plan de stock-options. Le tour de vis annoncé au niveau des droits d’auteurs a potentiellement beaucoup plus d’impact que les stock-options pour une société comme Collibra. »

Pierre-Philippe Hendrickx, avocat chez Nibelle & Partners, épingle pour sa part une propension à accorder des options sur des actions qui n’ont rien à voir avec l’entreprise. « Les stock-options deviennent alors un simple moyen d’accorder un avantage faiblement taxé. Un bonus exempté d’impôt ferait tout aussi bien l’affaire. »

Gunther Valkenborg pointe deux autres éléments interpellants. « D’une part, il n’est pas rare que l’employeur avance le précompte dû au moment de l’octroi des stock-options, montant qu’il régularise ensuite au moment de l’exercice de ceux-ci. Ce mécanisme pourrait en effet être corrigé, sachant que l’employeur n’est pas une banque. D’autre part, le ministre Van Peteghem parle de taxer les plus-values. Mais il n’est pas clair pour l’instant si le ministre vise également les plus-values réalisées lors de l’exercice des options sur actions. Cela fait évidemment une grosse différence. »

Saucissonnage

Pour Christian Chéruy, avocat chez Loyens & Loeff, l’affaire Collibra est surtout révélatrice d’un malaise plus fondamental. « Depuis quelques années, j’observe une tendance lourde défavorable à l’investissement. Cela contraste avec l’ère Reynders où la politique fiscale était davantage orientée vers l’international. Aujourd’hui, je ne vois plus cette politique volontariste. »

Il pointe en particulier le « saucissonnage » pratiqué par l’actuel ministre des Finances. « On revoit le régime des droits d’auteurs, on parle de réformer les stock-options, mais il manque un plan d’ensemble et un timing précis. Faute de lisibilité, les entreprises ne savent pas vers quoi on va. Or les entreprises font généralement des plans stratégiques à cinq ans au moins, plus longs qu’une législature de quatre ans. La sécurité juridique et la visibilité des politiques fiscales sont essentielles à l’attractivité d’un pays. »

Pierre-Philippe Hendrinckx confirme: « Ce qui choque, c’est ce grignotage de niches fiscales qui ont du sens, comme les droits d’auteurs, le tax shelter ou les stock-options, dans la perspective d’une réforme fiscale dont on ne voit pas très bien si elle se fera un jour. Mais en attendant, on grignote quand même… »

Christian Chéruy enfonce le clou: « Les politiques sont en train de louper le momentum créé à la suite de la première ébauche de la réforme fiscale rendue publique pendant l’été 2022. Elle avait étonnamment suscité une grande approbation, car le projet semblait équilibré. Mais il aurait fallu poursuivre sur la lancée. Au lieu de cela, on saucissonne les réformettes et personne ne peut dire ce qu’il restera à la fin. »

Les foudres du fisc

La procédure fiscale évolue également d’une manière inquiétante, selon Pierre-Philippe Hendrickx. « L’administration en Belgique voit des abus partout et ratisse de plus en plus large. Le cortège des mesures anti-abus qui accompagnent toute mesure incitative est excessif. »

Un avis que partage Christian Chéruy: « On pratique des perquisitions fiscales, on prévoit des astreintes, on allonge les délais de prescription, etc. Comme si le fisc était incapable de fonctionner correctement avec les nombreux outils dont il dispose aujourd’hui. On veut clairement assujettir les contribuables. La communication avec les autorités fiscales est aussi beaucoup plus querelleuse qu’auparavant. L’administration prend des positions parfois déraisonnables, au mépris du doute raisonnable qui doit profiter à tout citoyen. L’état d’esprit a changé, poussé par des objectifs à atteindre. L’air du temps veut que désormais les entreprises qui font des bénéfices soient à blâmer et illégitimes. Un pays où règne pareil ressentiment n’est jamais très attractif. »

Journalistes Jean-Paul Bombaerts et Sonia Romero Ruiz

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