2021/06/22: L’Echo: ‘Blanchiment: les banques devront vérifier l’origine des fonds rapatriés’.

Denis-Emmanuel Philippe a été interviewé dans l’Echo à propos de la circulaire du 8 juin dernier de la BNB. La BNB y formule ses attentes à l’égard des banques concernant l’origine des capitaux rapatriés à l’occasion des régularisations précédentes.

La BNB invite les banques à vérifier l’origine des fonds rapatriés lors d’une régularisation fiscale (DLU). Des poursuites pénales pour blanchiment seront possibles.

Dans une circulaire datée du 8 juin dernier et passée largement inaperçue, la Banque nationale (BNB) invite les banques à vérifier l’origine des fonds rapatriés à l’occasion des régularisations précédentes (ou DLU) et à faire une déclaration à la Ctif (cellule de lutte contre le blanchiment) dans l’hypothèse où un doute subsisterait quant à leur origine licite. C’est le principe du “look back”.Cette demande de la BNB s’inscrit dans le prolongement du rapport explosif de la Cour des comptes qui, en février dernier, demandait au gouvernement de “porter plus d’attention” aux 40 milliards d’euros de capitaux non déclarés détenus sur des comptes bancaires belges.

Manne financière

D’après la Cour des comptes, 44,6 milliards d’euros de capitaux ont été rapatriés sur des comptes belges lors des vagues de régularisations précédentes. Celles-ci étaient toutefois incomplètes, puisque seulement 2,59 milliards d’euros auraient fait l’objet de prélèvements. Ceci s’explique par le fait que les régularisations ne couvraient que les revenus mobiliers des sept dernières années (dividendes, intérêts) et non les capitaux fiscalement prescrits sous-jacents (par exemple, une succession non déclarée d’un parent décédé il y a 25 ans). Cette manne financière pourrait venir renflouer les caisses de l’État dans le contexte budgétaire que l’on connait. La coalition Vivaldi n’a, du reste, jamais fait mystère de son intention de s’attaquer de front à la fraude fiscale.

Pas de prescription

Si ces capitaux sont à l’abri du fisc, en raison de l’expiration des délais d’imposition, leurs détenteurs s’exposent en revanche aux risques de poursuites pénales pour blanchiment. Or le blanchiment ne se prescrit en principe pas. “Il est fort vraisemblable que tant le ministère public, dans le cadre de ses enquêtes en matière de fraude fiscale et de blanchiment, que le fisc vont désormais davantage braquer leurs projecteurs sur les comptes belges”, estime Denis-Emmanuel Philippe, avocat-associé chez Bloom. Leur tâche sera facilitée par la mort programmée du “secret bancaire” belge, à la faveur d’une récente loi du 20 décembre 2020. Celle-ci impose aux banques belges de communiquer le solde des comptes (à partir du 31 décembre 2020) au point de contact central tenu par la Banque nationale, au plus tard le 31 janvier 2022.

Du travail pour les banques

“Les départements d’audit interne des banques auront du pain sur la planche dans les prochains mois”, prédit Denis-Emmanuel Philippe. En pratique, les banques vont devoir se replonger dans des vieux dossiers de régularisation, retracer les versements effectués, interroger les clients sur la conformité fiscale des fonds. De leur côté, certains clients auront la désagréable surprise d’être contactés par leur banquier, qui leur demandera de rassembler des documents concernant l’origine des fonds rapatriés lors des DLU précédentes. Denis-Emmanuel Philippe s’attend à ce que les banques fassent des déclarations en masse auprès de la Ctif. “Dans de nombreux dossiers, l’origine licite des capitaux fiscalement prescrits est fort difficile à établir”, souligne-t-il.

Rupture de confiance?

En tout état de cause, les contribuables concernés seraient en droit de se sentir lésés par les autorités qui avaient vanté l’immunité procurée par les DLU. “Cela pose question par rapport à la sécurité juridique et à la légitime confiance”, explique Grégory Homans, avocat au cabinet Dekeyser & Associés. Ce dernier comprend que les contribuables estimant avoir régularisé leur situation, puissent être insécurisés par cette approche “look-back“. “Cette approche est elle-même sujette à certaines observations”, souligne-t-il. Et le fait qu’une régularisation partielle ait été faite ne permet pas de conjurer le risque de poursuites pénales, comme l’illustrent les affaires Dejager et Engels, du nom de deux familles d’entrepreneurs flamands qui ont défrayé la chronique au nord du pays. Dans les deux cas, le parquet a obtenu de lourdes condamnations pour blanchiment.

Charge de la preuve

Certains contribuables pourraient décider de recourir à la DLU quater (qui expire fin 2022), afin de conjurer le risque de poursuites pénales, mais c’est une option très désavantageuse qui implique de payer 40% sur les capitaux fiscalement prescrits si leur origine licite n’est pas établie. À ce sujet, le contribuable souffrira d’un renversement de la charge de la preuve. “Dans le cadre de la DLU quater, la charge de la preuve de l’origine licite des avoirs revient au contribuable, alors qu’en droit pénal, il revient au parquet de prouver que l’origine licite est exclue”, précise Grégory Homans.

Le résumé

  • La Banque nationale demande aux banques d’investiguer sur l’origine des capitaux rapatriés lors des DLU.
  • Des poursuites pénales pour blanchiment seront possibles, même si une régularisation des revenus mobiliers a été réalisée.
  • Dans de nombreux dossiers, l’origine licite des capitaux fiscalement prescrits est fort difficile à établir.
  • Les départements d’audit interne des banques auront du pain sur la planche dans les prochains mois.

Journaliste Jean-Paul Bombaerts

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