2021/05/17: L’Echo: ‘Abus fiscaux: derrière les cas Amazon et Engie, des conséquences concrètes.’

Le Tribunal de l’UE a rejeté les arguments de la Commission qui estimait qu’Amazon avait obtenu un avantage fiscal indu au Luxembourg. Mais ses conclusions sur Engie pourraient constituer un précédent assez fort.

Amazon paierait moins d’impôts que le libraire du coin, entendait-on souvent dire il y a quelques années. Le New York Times, il y a quelques jours, mettait des chiffres sur cette impression : 44 milliards de chiffres d’affaires en Europe en 2020 et pas d’impôts payés dans le pays où il a son siège européen, le Luxembourg, où il a déclaré une perte de 1,2 milliard d’euros. S’il précise qu’Amazon respecte le droit luxembourgeois et paie des taxes localement sur ses activités, sans donner de montant, le journal américain estime que cette réalité ne peut que donner des munitions aux Européens dans le débat international sur la taxation du numérique.

Le cas du géant américain de l’e-commerce était donc scruté de manière particulière, mercredi, quand le Tribunal de l’UE a rendu ses arrêts sur des dossiers d’accords fiscaux conclus avec le Luxembourg avec le géant de l’e-commerce et entre le Grand-Duché et Engie. La Commission réclamait un redressement fiscal respectivement de 250 et de 120 millions d’euros pour ces deux entreprises.

Le Tribunal a tranché : aucun des constats exposés par l’institution européenne dans le dossier qu’elle a monté contre Amazon ne « suffit à démontrer l’existence d’un avantage indu ». La Commission estimait notamment que le Grand-Duché avait validé, via des rescrits fiscaux (un mécanisme au cœur du scandale Luxleaks) en 2003 et 2011, des paiements entre sociétés d’un même groupe en dehors de toute réalité économique. Via les prix de transfert en cause, Amazon avait pu envoyer trois quarts de ses bénéfices vers une « coquille vide » où ils n’étaient pas imposés. C’est sur ces prix de transfert que la Commission s’est déjà cassé les dents devant la justice européenne face à Apple et Starbucks.

Critiquer la manière dont une administration fiscale a appliqué des règles techniques à leur sujet est « un exercice périlleux car la marge d’appréciation est importante, c’est loin d’être une science exacte », précise Edoardo Traversa, professeur de droit fiscal à l’Université Catholique de Louvain.

Engie et les abus

Mais pour Denis-Emmanuel Philippe, Avocat-associé (Bloom Law) et Maître de conférences à l’ULiège, le cas d’Engie, peut se révéler plus important au regard de ses conséquences. Le Tribunal a suivi la Commission dans son analyse. « Quand on regarde des montages d’optimisation fiscale agressifs, souvent les multinationales exploitent les failles dans les lois pour obtenir un avantage fiscal, sans qu’il y ait une véritable substance économique derrière. Ce qui est remarquable, c’est que le Tribunal fait primer la réalité économique sur l’habillage juridique, sur les artifices comptables », estime-t-il, y voyant une « montée en puissance du principe de substance économique », soit la fin des coquilles vides.

Le deuxième élément important de l’arrêt, c’est que le Tribunal « passe beaucoup de temps sur la mesure anti-abus » du droit luxembourgeois, ajoute Edoardo Traversa. Dans le cas d’Engie au Luxembourg, une opération entre deux sociétés du groupe a été considérée à la fois comme une dette (déductible pour le payeur) et une prise de participation (non imposable pour le receveur). « Le Tribunal dit que lorsqu’il existe une situation qui devrait être considérée comme abusive au regard du droit national et que l’Etat n’utilise pas ses règles anti-abus, il offre une aide d’Etat illégale », explique Edoardo Traversa. « Si une multinationale a échafaudé un montage agressif mais que le fisc n’a pas brandi la mesure anti-abus, cela veut dire que l’on pourrait y voir dans certains cas une aide d’Etat ! » abonde Denis Emmanuel Philippe. « Le tribunal vient ici purement et simplement substituer son analyse de la disposition anti-abus à celle de l’administration fiscale grand-ducale » ajoute-t-il. On « rentre très fort dans l’interprétation du droit national » dans le cas Engie, reconnaît Edoardo Traversa.

Changement de paradigme

Chaque partie réfléchit désormais à un possible appel là où elle a connu un revers. Pour la vice-présidente de la Commission, Margrethe Vestager, a rappelé que l’outil de contrôle des aides d’Etat avançait « main dans la main avec l’action législative de l’UE pour clore les échappatoires » en matière fiscale, ajoutant qu’un accord international historique sur la réforme du cadre fiscal pour les entreprises était proche.

Pour nos deux experts, le chemin parcouru depuis Luxleaks est impressionnant. D’ailleurs, les arrêts rendus concernent « des structures en place il y a de nombreuses années, les lois fiscales sont bien plus féroces aujourd’hui », selon Denis-Emmanuel Philippe. « Les entreprises numériques échappent toujours aux mailles du filet car elles parviennent encore à loger leurs bénéfices dans des juridictions où la fiscalité est plus douce ». La seule solution : l’accord international, d’une part sur la répartition des bénéfices entre pays, qui fera la part belle aux pays de « marché », et d’autre part un taux de taxation minimum. L’administration Biden a fait des propositions, après des années de blocage sous Trump. Les Français visent juillet.

Journaliste Elodie Lamer 

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