2021/05/04: La Libre: ‘La taxe Biden pourrait rapporter 7 milliards d’euros à la Belgique.’

Selon le Tax justice network, la taxe minimale des multinationales pourrait rapporter gros à la Belgique. Une soixantaine de multinationales belges passeraient à la caisse, tandis que l’ONG propose une alternative plus favorable aux pays pauvres.

La proposition d’instaurer un taux d’imposition minimum de 21 % à charge des multinationales a fait l’effet d’une bombe. Mais quel serait l’impact de cette proposition si elle était appliquée en Belgique ? Petit point sur ce dossier.

1. De quoi parle-t-on ?

Les États-Unis ont déjà instauré un taux minimal d’imposition des bénéfices, à charge des multinationales américaines. La proposition de Joe Biden consiste à faire passer le taux de 10,5 à 21 %. Si cette proposition devait voir le jour, le fisc américain pourrait s’attaquer aux filiales des groupes américains taxées en dessous de 21 % en dehors des États-Unis. Par exemple si Google n’est taxé qu’à 2 % en Irlande, le fisc américain pourrait prélever 19 % d’impôts sur ses bénéfices irlandais. Ce taux minimum est considéré comme l’arme ultime contre les paradis fiscaux. En effet, une multinationale n’aurait plus aucun intérêt à déplacer ses bénéfices dans un paradis fiscal si le pays d’origine peut taxer la différence avec le taux minimal.

2. Quels pays y sont favorables ?

Cela fait plusieurs années que l’OCDE mène des négociations internationales sur ce taux minimum. Un consensus avait été trouvé autour d’un taux de 12,5 %. Il reste à voir si le taux très ambitieux de 21 %, proposé par Joe Biden, fera consensus. L’attractivité fiscale de l’Irlande, basée sur son taux attrayant de 12,5 %, pourrait ainsi voler en éclats. Le ministre des Finances irlandais a d’ailleurs émis des “réserves” quant à la proposition du président américain. En outre, d’autres pays ont un taux facial supérieur à 21 %, tout en proposant des déductions fiscales faisant passer leur taux effectif bien en dessous.

3. Un consensus international est-il nécessaire ?

Instaurer un taux minimum de taxation des multinationales n’exige pas de consensus international. La preuve, il existe déjà aux États-Unis, mais uniquement à l’égard des multinationales américaines. Joe Biden souhaiterait néanmoins que d’autres pays mettent en place un taux minimum, de préférence proche de 21 %. En effet, le président américain redoute que des multinationales américaines changent de nationalité pour échapper au taux minimum américain. Mais si une large coalition de pays devait appliquer ce taux plancher, il deviendrait inutile pour un groupe américain de changer de nationalité.

4. Combien pourrait gagner la Belgique ?

L’ONG Tax justice network (TJN) a calculé ce que pourrait rapporter le taux de 21 % proposé par Joe Biden, tout en conservant l’architecture négociée au sein de l’OCDE. Cette architecture est favorable au pays d’origine de la multinationale. En effet, si une filiale est imposée en dessous de 21 % à l’étranger, c’est le pays d’origine de la multinationale qui peut taxer la différence. Le TJN a calculé que la Belgique pourrait récolter 8 milliards de dollars (environ 7 milliards d’euros) de recettes fiscales supplémentaires en appliquant ce taux minimum. Une somme considérable… Notre pays serait même 13e mondial en valeur absolue.

5. Est-ce réaliste ?

Etienne de Callataÿ, chef économiste d’Orcadia, n’est pas étonné par ce montant. “Il y a une forte présence de multinationales en Belgique, déclare-t-il. Les niches fiscales pullulent chez nous. Nos gouvernements successifs ont fait de très gros cadeaux fiscaux à certaines entreprises. Encore aujourd’hui, il est possible de payer moins de 4 % d’impôt des sociétés, au lieu de 25 %”.

L’avocat-fiscaliste Denis-Emmanuel Philippe (Bloom Law) n’est pas étonné, lui non plus. “L’impôt minimum de 21 % devrait concerner uniquement les multinationales qui ont des produits consolidés de plus de 750 millions d’euros. Selon des chiffres d’il y a quelques années, plus de 60 multinationales, dont l’entité mère est située Belgique, sont concernées par ce seuil, explique-t-il. Ce taux minimum de 21 % autoriserait la Belgique à taxer une partie des bénéfices faiblement imposés des filiales étrangères des 60 multinationales en question”.

Cet expert met cependant en garde au sujet d’impacts négatifs potentiels sur notre économie. “Il y aurait aussi environ 2 000 à 3 000 filiales belges de multinationales étrangères, déclare-t-il. Certaines bénéficient en Belgique de niches fiscales, notamment des incitants fiscaux en matière de recherche et développement. Ces sociétés belges sont soumises à un taux d’impôt effectif largement inférieur à 21 %. Si l’entité mère de la filiale belge devait être taxée dans son pays d’origine, en vertu du taux minimum mondial, elle pourrait se dire qu’elle n’a plus rien à faire en Belgique”.

De son côté, Etienne de Callataÿ cite une étude du Bureau du Plan qui montre que les niches fiscales belges sont souvent une dépense fiscale importante, avec peu d’effets positifs sur notre économie.

Philippe Ledent, senior economist chez ING Belgique, met en garde contre les études statiques, qui ne prennent pas en compte les réactions à la nouvelle réalité. “Faisons attention à ne pas trop rêver, explique-t-il. L’application d’un taux de 21 % ne rapportera pas forcément 8 milliards de dollars. Ceci dit, je suis persuadé que l’impact net sera positif”.

Journaliste Laurent Lambrecht 

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