2021/04/13: La Libre: ‘Pourquoi les 40 milliards d’euros “d’argent noir” seront difficilement récupérables.’

Avant la DLU ter, il n’était même pas possible de régulariser des capitaux prescrits de manière forfaitaire.

Plus de 40 milliards d’euros d’argent noir ont été rapatriés en Belgique, sans payer ni impôts ni amendes, lors des précédentes vagues de régularisation fiscale de 2006 à 2013, a calculé la Cour des comptes , un rapport sur lequel nos confrères du Tijd ont pu mettre la main. Cette masse d’argent pourrait-elle être le prélude à de nouvelles actions de la part du gouvernement, d’autant que les ambitions de la Vivaldi en matière de lutte contre la fraude fiscale sont budgétairement très ambitieuses (1 milliard d’euros par an, dès 2024) ? Ahmed Laaouej, chef de groupe PS à la Chambre, n’a pas manqué l’occasion de réclamer un “vrai plan d’actions” contre la criminalité financière.

Pour la Cour des comptes, quelque 4,26 milliards d’euros de revenus mobiliers ont été régularisés entre 2006 et 2013, ce qui représente par déduction 44,7 milliards de capitaux sous-jacents. “Mais seuls 2,51 milliards d’euros (5,6 %) de cette somme ont été régularisés”, conclut la Cour des comptes dans son rapport. Ahmed Laaouej, dans le communiqué qu’il a envoyé à Belga, demande aussi au ministre “d’avancer sur la transparence du secteur bancaire”. “J’ai également écrit à la présidente de la commission Finances (Marie Christine Marghem, NdlR) pour demander l’audition de la Cour des comptes et mener un débat sur ces chiffres”, dit-il.

Arrêt de la Cour de Cassation très clair

Cela étant, il y a une donnée importante qui doit être relevée : un arrêt de la Cour de Cassation datant du 19 novembre 2019 stipule clairement que les contribuables n’avaient pas l’obligation de régulariser leurs capitaux entre 2 006 et 2013, spécifiquement dans le cadre de ce qu’on a appelé la “DLUBis”. “Les procédures de DLU, avant la DLU ter (déclarations libératoires uniques, NdlR), n’ont jamais visé les capitaux prescrits. Avant la DLU ter, il n’était donc même pas possible de régulariser des capitaux prescrits de manière forfaitaire”, rappelle Sabrina Scarna, avocate fiscaliste (Tetra Law). “La Cour de Cassation, dans un arrêt du 19 novembre 2019, a confirmé par ailleurs qu’une DLU pouvait ne pas être complète. Ainsi, les autorités judiciaires avaient reproché à un contribuable d’avoir procédé à une régularisation sur un seul de ses comptes étrangers et ne pas avoir visé l’ensemble de sa situation patrimonial offshore. Il avait été poursuivi pour faux, usage de faux et blanchiment. La Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel de Gand qui rejetait la position du Ministère public”, rappelle la spécialiste.

Interrogé par La Libre en juillet 2020 sur cette question, Denis Emmanuel Philippe, avocat fiscaliste (Bloom Law), estimait que la régularisation des capitaux prescrits était en théorie possible lors des DLU-1 et 2. “La loi ne précisait pas jusqu’où il fallait remonter dans le temps, expliquait-t-il. À mon avis, il était donc théoriquement possible de régulariser au-delà du délai de prescription en matière fiscale. En outre, les ministres des Finances successifs se sont bien gardés de préciser la période pour laquelle il fallait régulariser.” Néanmoins, précisait Denis-Emmanuel Philippe, la grande majorité des experts fiscaux considéraient à l’époque qu’il ne fallait pas régulariser les capitaux noirs fiscalement prescrits… Même si ce n’est donc pas l’opinion majoritaire, certains, dont le faut fonctionnaire Steven Vanden Berghe (président du service des décisions anticipées), estiment cependant qu’il était possible de régulariser des capitaux prescrits lors des DLU-1 et 2.

Cette parenthèse faite, il faut aussi rappeler que les DLU portaient uniquement sur les revenus, mais qu’elles bénéficiaient d’une immunité pénale tant en ce qui concerne les revenus que le capital prescrit. Cela ressort d’ailleurs expressément des travaux parlementaires de la loi sur la DLU, qui expliquaient que “cette disposition fixe le principe de l’immunité pénale des délits qui se trouvent à l’origine de l’absence de déclaration des revenus qui font l’objet de la déclaration-régularisation. Cette immunité vaut tant à l’égard du déclarant que de ses éventuels co-auteurs ou complices. Elle s’applique également pour ce qui concerne l’article 505 du Code pénal, pour ce qui concerne les institutions financières entreprises d’assurance ou sociétés de bourse qui reçoivent des capitaux ayant fait l’objet d’une régularisation, ainsi que les capitaux sous-jacents”. Bref, ce ne sera juridiquement pas simple de s’attaquer à ces capitaux rentrées au bercail, même s’ils l’ont été par la fenêtre plutôt que la porte.

Du reste, le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (CD&V), a réagi en soulignant que l’administration fiscale n’était pas compétente pour examiner ou poursuivre les capitaux “prescrits”, mais a précisé que le parquet pouvait se charger du volet blanchiment.

Journaliste François Mathieu

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