2021/04/13: La Libre: ‘Comment Joe Biden veut mettre à terre les paradis fiscaux.’

En proposant d’instaurer un taux minimum de taxation des entreprises américaines, Joe Biden a suscité énormément de réactions dans le monde. Petit point sur ce dossier en cinq questions.

En proposant d’instaurer un taux minimum de taxation des entreprises américaines, Joe Biden a suscité énormément de réactions dans le monde. Petit point sur ce dossier en cinq questions.

1 D’où vient cette idée ?

Cela peut paraître surprenant, mais c’est Donald Trump qui a instauré l’impôt minimum à charge des entreprises américaines. Dans le cadre de sa grande réforme fiscale, le Républicain avait abaissé l’impôt fédéral des sociétés de 35 à 21 %. À cette occasion, il avait aussi mis en place un taux minimum de 10,5 % sur les bénéfices étrangers des entreprises américaines. Depuis lors, le fisc américain peut taxer les bénéfices des filiales de groupes américains, lorsqu’ils sont imposés en dessous de 10,5 % à l’étranger. Les États-Unis disposent donc d’un système fiscal mondial.

2 Que propose Joe Biden ?

Conformément à sa promesse électorale, le Démocrate propose de remonter l’impôt fédéral des sociétés : de 21 à 28 %. Il veut également doubler l’impôt minimum sur les bénéfices étrangers des entreprises américaines : de 10,5 à 21 %. Si cette mesure devait être mise en place, elle réduirait à néant l’attractivité des paradis fiscaux pour les entreprises américaines. En effet, si Google n’est taxé qu’à 2 % en Irlande, le fisc américain pourrait prélever 19 % d’impôts sur ses bénéfices enregistrés en Irlande. Ce taux minimum mettrait donc en échec les techniques d’optimisation fiscale des multinationales US consistant à faire remonter leurs bénéfices vers des pays à faible fiscalité. Joe Biden explique clairement que cette mesure mettra fin à la concurrence fiscale acharnée à laquelle se livrent les pays pour attirer des entreprises. Une concurrence fiscale qui a diminué les recettes des États. L’objectif de Joe Biden est également de favoriser les investissements des entreprises sur le sol américain, en diminuant l’incitant fiscal à la délocalisation.

3 Qu’en pensent les autres pays ?

Cela fait plusieurs années que l’OCDE mène des négociations internationales sur ce taux minimum. Un consensus avait été trouvé autour d’un taux de 12,5 %, qui est aussi le taux d’imposition irlandais. Il reste à voir si le taux très ambitieux de 21 %, proposé par Joe Biden, fera consensus au niveau international. Plusieurs pays pourraient s’y opposer, afin de conserver leur attractivité fiscale (voir aussi ci-dessous). Par exemple, l’Irlande affiche un taux de 12,5 %, la Roumanie de 16 %, et la Bulgarie de 10 %. Signe que le sujet est délicat, ni la France ni l’Allemagne n’ont évoqué un taux précis, tout en saluant la position américaine. “On ne sait pas encore quel taux émergera des négociations internationales”, nous explique d’ailleurs Pascal Saint-Amans, le directeur fiscal de l’OCDE, qui dirige les négociations sur le sujet.

4 Un consensus est-il nécessaire ?

Les États-Unis pourraient très bien avancer seuls sur la taxation minimale des multinationales. Mais dans ce cas, la réforme ne s’appliquerait qu’aux entreprises américaines. Les États-Unis deviendraient donc plus vulnérables à la technique de l’inversion fiscale, qui consiste pour une entreprise américaine à fusionner avec une entreprise étrangère afin de se débarrasser de sa nationalité US. C’est pour cette raison que Joe Biden a annoncé qu’il rendrait plus compliquée la technique d’inversion, sans donner de détails. C’est aussi pour cette raison que le président américain espère que le reste du monde adoptera un taux minimum mondial de taxation des multinationales. Un taux qui pourrait néanmoins être différent du taux américain. Mais plus il se rapproche du taux US, moins les entreprises américaines seront tentées de changer de nationalité pour y échapper.

5 La taxe numérique est-elle abandonnée ?

Sous Donald Trump, les États-Unis avaient torpillé la réforme de la fiscalité internationale, en discussion au sein de l’OCDE. Celle-ci comporte deux volets : la taxation des entreprises numériques (pilier 1), et le taux minimum de taxation des multinationales (pilier 2) dont on a parlé. Le pilier 1 consiste à répartir les profits des multinationales entre les pays où elles sont actives. Il permettrait à la Belgique de taxer Google en fonction de son activité chez nous. Or les États-Unis ont longtemps rejeté cette partie de la réforme qui, selon eux, vise injustement ses champions. D’ailleurs, Joe Biden n’a pas du tout évoqué la taxation du numérique lors de ses récentes annonces. Ce volet va-t-il être abandonné, comme le pensent certains observateurs ? “Je vous assure que cette partie n’est pas abandonnée”, nous répond Pascal Saint-Amans. Selon lui, les États-Unis devront lâcher du lest sur la taxation du numérique, afin d’obtenir le taux minimum mondial. Selon Pascal Saint-Amans, répartir les bénéfices des multinationales numériques entre les pays sera toujours nécessaire, même après l’instauration d’un taux minimum mondial. “Savoir que Google est taxé au minimum à 21 % ne change rien au fait que les Belges voudront taxer une partie de la valeur produite chez eux”, explique-t-il.

“Cela risque d’entraîner une fuite de capitaux”

Selon l’avocat Denis-Emmanuel Philippe, la proposition de Joe Biden pourrait avoir un gros impact en Belgique, même si l’impôt des sociétés y est de 25 %. “Ce taux minimum effectif de 21 %, sur la scène fiscale internationale, pourrait avoir un impact sur pas mal de sociétés belges, explique-t-il. En effet, beaucoup de sociétés belges bénéficient d’un taux d’imposition effectif inférieur à 21 %. Je songe en particulier à celles qui bénéficient de niches fiscales, comme la déduction à l’innovation”.

Or selon cet expert fiscal, la déduction à l’innovation permet d’attirer en Belgique des centres de décision et du personnel qualifié. “Si vous touchez de manière radicale à ces incitants fiscaux, cela risque d’entraîner une fuite de capitaux et de cerveaux”, estime-t-il. Selon lui, tout l’enjeu est de savoir si l’OCDE autorisera des exceptions à ce taux minimum de 21 %, par exemple pour les niches fiscales qui créent réellement de l’activité.

Journaliste Laurent Lambrecht 

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