2021/02/02:La Libre: “Les montages fiscaux agressifs seront plus vite dénoncés à la justice”.

Une récente décision du Conseil des ministres va permettre la dénonciation des “mécanismes particuliers”. Le secteur financier va être encore plus frileux à assister ses clients pour des montages potentiellement agressifs.

Lors de la législature précédente, sous le gouvernement Michel, le Parlement avait mis en place la Commission Panama Papers. À la suite des nombreux scandales d’évasion ou de fraude fiscale révélés dans la presse, le Parlement avait auditionné à tour de bras et, avec l’aide des experts (Marc Bourgeois et Mark Delanote), sorti un rapport très dense. Le hic, c’est que sur les 132 recommandations contenues dans ledit rapport, à peine un petit tiers avait été mis en œuvre. Vendredi, le Conseil des ministres vient d’en approuver une de plus, et elle risque de faire du bruit.

Des pratiques très courantes

Pour faire simple, les montages fiscaux agressifs seront plus vite et plus facilement dénoncés à la justice. “La simple fourniture à des investisseurs belges de conseils ou de renseignements en vue d’encaisser des revenus mobiliers (intérêts, dividendes…) sans retenue du précompte mobilier peut être constitutive d’un mécanisme particulier. Il en va de même, et ceci est trop méconnu, si la fourniture de conseils vise à éviter les droits de succession ou la taxe sur les opérations de Bourse”, explique Denis-Emmanuel Philippe, avocat fiscaliste (Bloom Law).

L’avant-projet de loi approuvé par le Conseil des ministres concerne donc les “mécanismes particuliers”. Il prévoit que la simple préparation d’un tel mécanisme suffirait à déclencher l’obligation déclarative par la Banque nationale ou la FSMA aux autorités judiciaires. “Des sanctions pénales peuvent aussi être infligées aux institutions financières, si elles mettent en place ces mécanismes particuliers”, poursuit Denis-Emmanuel Philippe, qui donne un autre exemple de “mécanisme particulier” . “Une compagnie d’assurances qui assisterait son client à éviter le précompte mobilier, en apportant des actifs (par exemple : actions dans une société privée contrôlée par le contribuable) dans un contrat d’assurance-vie. Il faut préciser à cet égard que les contrats d’assurance-vie sont une niche fiscale, puisque les revenus (en cas de rachat) peuvent être exonérés d’impôt des personnes physiques.”

Problème datant de 1997

La problématique des mécanismes particuliers ne date pas d’hier. La FSMA et la Banque nationale de Belgique (BNB), en 2016, avaient longuement été auditionnées sur le sujet dans le cadre de la Commission Panama Papers. L’administration elle-même, dès 1997, alertait le monde politique sur ces “mécanismes particuliers ayant pour but ou pour effet de favoriser la fraude fiscale” et pour lesquels “l’établissement sait ou devrait savoir que ce mécanisme s’écarte des normes et des usages normaux en matière d’opérations bancaires, d’assurances et financières”. Des circulaires datant de 1997 existent pour déterminer ce qui se cache derrière un “mécanisme particulier” qui doit être dénoncé par les institutions financières.

Jamais de dénonciation jusqu’ici

On y trouve une liste assez longue de mécanismes, souvent en lien avec des institutions étrangères de conseil en gestion patrimoniale . Mais il n’y avait jamais eu de dénonciation. Et pour cause : le dispositif a une grosse faille. Lorsque l’autorité de contrôle – entendez la BNB ou la FSMA – est mise au courant de mécanismes particuliers ayant pour but ou pour effet de favoriser la fraude fiscale dans le chef de tiers mis en place par un établissement dont il assure le contrôle prudentiel, elle ne peut pas faire grand-chose, sauf faire arrêter ledit mécanisme. Mais la BNB ou la FSMA n’avaient pas le pouvoir de dénoncer à la justice ce qui constitue tout de même souvent un délit fiscal passible de sanctions pénales. La Commission Panama Papers avait ainsi recommandé que le critère de la double incrimination (en Belgique et à l’étranger) soit supprimé et que l’obligation de déclaration, actuellement conditionnée par la mise en place effective d’un mécanisme, soit étendue aux situations dans lesquelles l’autorité de contrôle dispose d’éléments concrets indiquant la préparation d’un mécanisme d’évasion ou de fraude fiscale. Le Conseil des ministres vient donc d’accepter un avant-projet qui introduit une obligation de dénonciation qu’il y ait (ou non) une fraude fiscale (consommée ou non consommée) dans le chef du client.

Ahmed Laaouej, qui présidait la Commission Panama Papers, se réjouit “de voir la Vivaldi prendre à bras-le-corps la lutte contre la fraude fiscale dans le secteur financier ; cela nous change de ce qui se faisait précédemment”. La Vivaldi a effectivement intérêt à mettre les bouchées doubles. Ses ambitions en matière de lutte contre la fraude fiscale sont très ambitieuses (1 milliard de recettes par an en rythme de croisière, dès 2024). Mais cela aura aussi des répercussions très importantes sur le secteur financier. Pour l’avocat de Bloom Law, “les banques et les autres institutions financières (compagnies d’assurances, fonds d’investissement…) vont être de plus en plus frileuses à assister leurs clients dans la conception et la mise en place de montages potentiellement agressifs. En cause : les sanctions pénales applicables aux entités financières en question, qui s’ajoutent à des dispositifs ‘anti-blanchiment’ qui se durcissent depuis des années déjà”.

Journaliste François Mathieu 

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