2020/05/06: La Libre: Pas d’aide publique aux entreprises présentes dans les paradis fiscaux: est-ce vraiment efficace ?

L’ONG Oxfam estime qu’il serait plus efficace d’exiger la transparence fiscale.

L’idée, innovante, est venue du Danemark. Il s’agit de refuser les mesures de soutien octroyées dans le cadre de la crise du coronavirus aux entreprises présentes dans les paradis fiscaux.

La manière d’exclure ces sociétés sera débattue ce mercredi à la Chambre. Et cela dans le cadre d’un projet de loi visant à assouplir temporairement le régime des versements anticipés des entreprises. Le but de cette mesure est d’améliorer la solvabilité des sociétés, en diminuant les pénalités infligées si leurs avances fiscales sont payées tardivement.

Selon un amendement qui pourrait réunir une majorité, la loi exclurait du dispositif de soutien les sociétés belges présentes dans les paradis fiscaux de façon non justifiée, ou qui y réalisent des paiements substantiels.

D’une façon assez surprenante, l’ONG Oxfam, un grand pourfendeur des paradis fiscaux, est assez critique vis-à-vis de cette mesure d’exclusion. “Il est très important d’établir de façon efficace les conditions d’accès aux mesures de soutien public, explique Johan Langerock, expert fiscal chez Oxfam. L’assouplissement des avances fiscales est un sujet mineur, mais il y a de fortes chances que les conditions fixées aujourd’hui seront reprises pour les autres mesures de soutien”.

Pourquoi Oxfam est-elle opposée à ce qui est sur la table ? “Le Danemark a ouvert ce débat en imposant une condition de non-présence dans les paradis fiscaux, poursuit Johan Langerock. Dans les faits, cela signifie très peu. En se basant sur la liste européenne des paradis fiscaux, il n’y a que deux pays intéressants : le Panama et les îles Caïmans. Le reste, ce sont de petites îles qui ne représentent presque rien.”

Selon Oxfam, la liste belge des paradis fiscaux est aussi trop restrictive. Pour rappel, l’arrêté royal qui devait élargir cette liste, dans la foulée du scandale des Panama Papers, n’a jamais été publié au Moniteur.

“Un autre problème est qu’on ne s’intéresse qu’à la relation directe avec les paradis fiscaux, explique Johan Langerock. C’est symbolique. Les entreprises font très peu d’évasion fiscale directe. En outre, la plus grande évasion fiscale passe par le Luxembourg et les Pays-Bas, qui ne figurent pas sur la liste des paradis fiscaux . Selon l’ONG Tax Justice Network, la Belgique perd 2,6 milliards d’euros en impôts des sociétés au bénéfice de ces deux pays.”

Modifier les comportements

Plus fondamentalement, Oxfam estime que la priorité est de modifier le comportement des entreprises. “Il faut aider les entreprises à traverser la crise, ce n’est pas le moment de leur refuser une aide, estime Johan Langerock. Mais l’État pourrait profiter de sa position de force pour imposer des conditions à appliquer dans le futur”.

Ainsi, Oxfam propose qu’une entreprise belge bénéficiant d’une aide soit obligée de rendre public le rapport pays par pays du groupe auquel elle appartient. Et cela, que la société belge soit une filiale d’un groupe étranger, ou la maison-mère. Ce rapport mentionne le chiffre d’affaires, les bénéfices ou encore les impôts payés dans chaque pays, dont les paradis fiscaux. “Aujourd’hui, seule l’administration fiscale de la maison-mère a accès à ce précieux rapport, explique Johan Langerock. En obligeant l’entreprise belge à le rendre public, on mettrait la pression sur la présence du groupe dans les paradis fiscaux. C’est assez efficace pour faire changer les comportements.

Cette idée figure dans un amendement déposé par Écolo-Groen et qui sera débattu ce mercredi. “La liste belge des paradis fiscaux présente certaines limites, confirme Georges Gilkinet, chef de groupe Écolo à la Chambre. Nous voulons donc plus de transparence fiscale de la part des entreprises qui bénéficieront d’un soutien de l’État. Avec ce rapport pays par pays, on connaîtra la présence dans tous les paradis fiscaux, pas seulement ceux qui figurent sur la liste belge.”

L’expert fiscal Mark Delanote (UGent) estime, lui, que l’exclusion sur la base d’une présence dans les paradis fiscaux est symbolique et peu efficace. Il préférerait que l’on conditionne l’aide au fait que l’entreprise ne se livre pas à un abus fiscal ou à une fraude fiscale pendant plusieurs années. Un élément qui pousserait les entreprises et entrepreneurs qui auraient bénéficié d’un soutien à réfléchir à deux fois à leurs pratiques fiscales.

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