2020/09/04: La Libre: “La Commission risque de recevoir une nouvelle gifle”

Quelles sont les chances de la Commission européenne dans ce dossier qui l’oppose à 39 entreprises ayant bénéficié d’un avantage fiscal en Belgique ? Nous avons récolté l’avis de deux experts, qui n’ont pas vraiment la même opinion.

Isabel Verlinden est spécialiste du dossier chez PwC. Elle a notamment été choisie par l’État irlandais pour défendre le géant Apple face à la Commission européenne. Selon elle, Margrethe Vestager risque une nouvelle fois de se casser les dents. “Il n’est écrit nulle part dans la loi belge sur les excess profit rulings qu’il faut justifier une exonération en Belgique par une taxation dans un autre pays”, assure-t-elle.

 

Autre argument avancé par cette experte: la Commission européenne n’a pas monté un dossier spécifique pour chaque entreprise. “Plus elle fait du général, plus elle risque de recevoir une gifle, comme dans le cas Apple, explique Isabel Verlinden. La Commission agit de façon contradictoire : elle attaque de façon individuelle, mais sur la base d’arguments génériques. Or, il y a des différences entre les cas : certaines entreprises ont été taxées à l’étranger, d’autres pas.”

 

Denis-Emmanuel Philippe, avocat chez Bloom Law et maître de conférences à l’ULiège, n’a pas la même lecture du dossier. “Les arguments de la Commission européenne sont assez solides, explique-t-il. Même si cette interprétation de la loi est contestée par certains, on peut raisonnablement soutenir que l’exonération des bénéfices en Belgique devait être subordonnée à la condition que ces mêmes bénéfices soient inclus dans la base imposable d’une société étrangère appartenant au même groupe multinational. Or, le fisc belge était disposé à octroyer une exonération allant jusqu’à 90 % des bénéfices excédentaires, alors que ces bénéfices n’allaient peut-être jamais être inclus dans la base imposable d’une autre société étrangère du groupe. Cette pratique ouvrait la voie à une non-imposition totale des bénéfices en question.”

Denis-Emmanuel Philippe estime qu’un autre argument de la Commission européenne, fondé sur l’existence d’un avantage sélectif, est plus solide encore. “Les entreprises ayant bénéficié des excess profit rulings sont clairement favorisées par rapport aux autres sociétés taxées sur la totalité de leurs bénéfices comptables, explique-t-il. À titre illustratif, une petite entreprise brassicole belge locale ne pouvait pas bénéficier de cette niche fiscale et devait payer l’impôt des sociétés sur l’intégralité de ses bénéfices, contrairement au géant AB InBev. On peut difficilement balayer pareil argument d’un revers de la main…”

 

Un avantage sélectif ? Enfin, cet expert fiscal estime que la défaite précédente de la Commission européenne devant le Tribunal de l’Union européenne, lorsqu’elle a attaqué le mécanisme général des excess profit rulings, ne portait pas sur le fond du dossier, mais plutôt sur la forme. “Les juges européens avaient annulé la décision de la Commission en s’appuyant sur des éléments de procédure complexes, déclare-t-il. En revanche, ils ne se sont pas prononcés sur la question centrale : est-ce que les excess profit rulings confèrent aux entreprises qui en ont bénéficié une aide d’État prohibée ?”

Explication

Qu’est-ce qu’un bénéfice excédentaire ?

Compromis politique. En 2005, une loi a institué cette possibilité offerte aux entreprises établies en Belgique, et faisant partie d’un groupe multinational, de réduire considérablement leur facture fiscale à l’impôt des sociétés. Il s’agissait, à l’époque, d’un compromis entre les libéraux, demandeurs de la mesure, et les socialistes. Le principe général de cette niche fiscale consiste à calculer le bénéfice excédentaire (excess profit) que l’entité belge réalise grâce à son appartenance à un groupe multinational (synergies, économies d’échelle, réputation…). Ce bénéfice excédentaire pouvait ensuite être retiré du bénéfice comptable de l’entité belge. Pour bénéficier de la mesure, l’entreprise devait faire valider l’exonération via un ruling, une décision fiscale anticipée délivrée par le fisc.

La Commission européenne estime que le bénéfice excédentaire retiré du bénéfice comptable en Belgique aurait dû être incorporé dans la base imposable de la multinationale, quelque part dans un autre pays. Or, le fisc belge n’a jamais conditionné l’octroi des excess profit rulings à une telle vérification. Le but de la mesure était d’offrir un avantage fiscal, pas de déplacer la taxation d’un pays à un autre.

 

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L’article dans La Libre

 

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