2020/06/22: La Libre: Montages fiscaux agressifs: recours en annulation en vue

Pour le 30 juin, l’Ordre des avocats déposera un recours en annulation de la loi transposant la directive européenne DAC6 devant la Cour Constitutionnelle. L’Ordre des avocats apprécie peu l’interpretation du fisc belge sur cette directive destinée à combattre la planification fiscale agressive.

C’est incontestablement la directive européenne qui lutte le plus contre le manque de transparence fiscale et l’injustice fiscale. DAC6, c’est son nom, est la sixième mouture d’un ensemble législatif européen “de coopération administrative” entre Etats membres destiné à lutter contre le blanchiment d’argent en général, contre les montages juridiques transfrontières agressifs en particulier, dont le but est manifestement d’éluder l’impôt ou en tout cas d’en payer moins que prévu. On parle donc bien ici de constructions qui peuvent être tout ce qu’il y a plus de légal (”mais que l’éthique réprouve souvent, surtout dans le contexte actuel”, glisse l’une de nos sources malicieusement). Cette directive, comme toute directive, doit être transposée dans notre droit belge, ce qui fut chose faite par une loi du 20 décembre 2019. La loi de transposition devait initialement entrer en vigueur au 1er juillet 2020, avant que le Covid19 génère un sursis de 6 mois (1er janvier 2021). Sauf qu’il y a désormais un gros “hic” : Michel Forges, bâtonnier de l’Ordre français du barreau de Bruxelles nous confirme qu’un recours en annulation va être prochainement déposé au nom de l’Ordre des Barreaux francophone et germanophone (OBFG) auprès de la Cour Constitutionnelle, notamment suite à un FAQ (questions-réponses) du fisc qu’un vent favorable nous a fait parvenir, et qui passe assez mal chez les avocats, notamment parce qu’il met à mal le secret professionnel. “La dernière main est mise au dossier de recours, qui sera déposé le 30 juin”, apprend-on par son auteur. Il était “moins une” : la date limite de recours était… le 30 juin. Selon nos informations, l’OVB (Orde van Vlaamse Balies), son pendant flamand, cherche aussi à introduire un recours. Explications et implications.

1. Quel est l’objectif de DAC6 ?

“La Directive entend renforcer le contrôle exercé autour des activités de planification fiscale. Il ressort en effet de récentes fuites dans les médias (Panama Papers, Bahamas Leaks, Paradise Papers) que certains intermédiaires fiscaux aident activement les entreprises et les particuliers à éluder l’impôt, au moyen de dispositifs transfrontières complexes”, explique Denis-Emmanuel Philippe, avocat fiscaliste chez Bloom Law. En clair, la directive DAC 6 contraindra les intermédiaires fiscaux à déclarer les montages “agressifs” au fisc, du moins ceux qui comportent certains marqueurs, autant qu’elle organisera un échange automatique d’informations entre les administrations fiscales des Etats membres sur ces dispositifs qui, souvent, contribuent à assécher les caisses publiques. “Une base de données centralisée, qui leur permettra de détecter suffisamment tôt les nouveaux risques d’évasion et de prendre des mesures pour neutraliser les dispositifs dommageables”, poursuit Denis-Emmanuel Philippe, qui ajoute que “les législateurs pourront aussi se servir de ces informations pour colmater des brèches, pour rectifier le tir, ce qui arrive souvent”.

2. C’est quoi, un montage transfrontière agressif?

C’est souvent un montage parfaitement légal, qui d’une manière ou d’une autre abaisse l’impôt dû. Quatre ou cinq marqueurs principaux – caractéristiques – de ces montages peuvent être épinglés mais en résumé, un montage standardisé, ou un montage qui a pour effet de convertir un revenu taxable en revenu exonéré (ou moins taxé), est plus que susceptible d’être divulgué. “Les praticiens auraient tort de sous-estimer la portée de cette nouvelle obligation déclarative. Tout d’abord, la liste des constructions fiscales à déclarer est très large : certaines structures tombant sous le coup de l’obligation de déclaration sont en effet définies en termes vagues et généraux, ce qui posera sans aucun doute beaucoup de maux de tête aux intermédiaires concernés”, explique l’avocat fiscaliste de Bloom Law.

3. Quels montages fiscaux sont par exemple visés?

La liste est très large, mais en vrac, parmi les “produits” les plus courants, on citera :

• La donation d’un portefeuille-titres devant un notaire hollandais, afin d’éviter les droits de donation en Belgique, pourrait dans certains cas tomber sous le coup de l’obligation déclarative. “Tel n’est toutefois pas le cas si le donateur et le donataire sont résidents belges”, précise l’avocat de Bloom Law. Cela dit, une loi devrait prochainement mettre fin à cette “entourloupe” de toute façon.

• La souscription d’un produit d’assurance vie de la branche 23 par un résident belge auprès d’une compagnie d’assurance luxembourgeoise. “Selon le législateur et l’administration fiscale belge, ce produit de placement fort prisé par les résidents belges ne serait pas visé par l’obligation déclarative mais cette opinion n’est pas partagée en France ou au Luxembourg ! Une déclaration pourrait être faite au Luxembourg, où on est d’avis que ce produit est susceptible de constituer un montage agressif transfrontière”, explique Denis-Emmanuel Philippe.

• La cession de droits intangibles (know how, marques, brevets, softwares,…) par une société belge à une société luxembourgeoise. • L’acquisition par une société belge d’une société étrangère déficitaire.

• Le paiement d’intérêts, de redevances ou de commissions par une société belge à une société étrangère qui bénéficie d’un régime fiscal préférentiel. • Le transfert de fonds vers une banque établie dans certains pays « non coopératifs » (Iran, Panama,…).

• Une société belge transfère son activité à une filiale à l’étranger.

4. Qui doit déclarer ces montages agressifs ?

C’est là que le bât blesse vraiment. Pour utile qu’il soit, le FAQ du fisc laisse la porte ouverte à pas mal d’interprétations sur les constructions fiscales visées, mais en plus, il bafoue le secret professionnel des intermédiaires, estime l’ordre des avocats. “L’obligation de déclaration ne s’applique pas uniquement aux cabinets internationaux d’avocats ou de consultance (‘Big Four ‘). D’autres intermédiaires (banques, experts-comptables, gestionnaires de fortunes, réviseurs d’entreprises,.,.) doivent également « dénoncer » à l’administration fiscale dans certaines circonstances”, explique Denis-Emmanuel Philippe. Les pages 40 à 43 du FAQ du fisc ne laissent planer aucun doute sur le fait que l’administration adopte une interprétation “minimaliste” du secret professionnel.

Si, suivant la loi belge, il n’y a pas d’obligation de déclaration lorsqu’un intermédiaire est lié par le secret professionnel, ici, une dérogation à l’obligation de déclaration ne s’appliquerait donc pas lors de la conception ou du conseil d’un dispositif transfrontière agressif. “C’est regrettable, s’insurge le bâtonnier Michel Forges. Si on supprime ce filtre qu’est l’avocat entre l’administration et le client, c’est la porte ouverte aux abus, puisque notre rôle est de conseiller sur ce qui est légal ou pas. Ce serait même parfois pousser certains clients dans les bras de la mafia. Nous sommes assermentés, respectueux de la loi. Mettre fin au secret professionnel, c’est mettre fin à la démocratie”.

5. Quid si la déclaration n’est pas faite par un intermédiaire fiscal ?

Il risque gros ! Le FAQ du fisc ne va pas l’inciter à hésiter longtemps puisque des sanctions relativement élevées (jusqu’à un maximum de 100 000 euros en Belgique, et 250.000 euros au Luxembourg) peuvent être infligées en cas de non-respect des obligations de déclaration. En outre, même si la loi entrera en vigueur le 1er janvier 2021, l’obligation de déclaration s’appliquera avec effet rétroactif aux dispositifs déclarables dont la première étape aura été mise en œuvre depuis le 25 août 2018. “L’effroyable complexité du dispositif, combinée à un manque cruel d’explications, à son effet rétroactif et à des sanctions élevées, est assez kafkaïenne”, glisse l’avocat de Bloom Law.

6. Quels effets le recours aura-t-il ?

Pour Michel Forges, il y a beaucoup de chances que le texte de transposition reste applicable. “Une suspension est assez rare”, précise-t-il. “Le scénario le plus probable est que la Cour constitutionnelle n’annule pas les dispositions en question, mais qu’elle en donne une interprétation qui les rende conformes avec le secret professionnel auquel les avocats sont tenus, tel que la Cour constitutionnelle l’avait largement entendu dans un arrêt de principe en 2008 ”, estime Denis-Emmanuel Philippe. Il faut généralement un an avant que la Cour se prononce sur un recours…

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