15/12/2019 – La Libre: Réforme de l’impôt des sociétés : une bataille politique à 1 milliard d’euros

Bud-gé-tai-re-ment neutre ! C’est ce qu’avait clamé haut et fort le ministre des Finances Johan Van Overtveldt (N-VA) sous la précédente législature à l’heure de défendre la réforme de l’impôt des sociétés (Isoc), entrée en vigueur en 2018. En clair, le coût de la baisse du taux d’imposition des sociétés de 33 à 25 % (environ 5 milliards d’euros) devait être compensé par des mesures, présentes ou à venir, élargissant la base imposable des sociétés. Imparable, à première vue. Des dizaines de mesures, souvent complexes, devaient permettre de remplir les caisses du Trésor public. L’équation est loin d’être aussi simple et est rendue d’autant plus compliquée qu’une bataille politique d’une rare intensité fait actuellement rage au Parlement…
LA DIRECTIVE “ATAD”, C’EST QUOI ?
Atad. Anti-tax Avoidance Directive . D’après les experts, ce paquet européen de mesures destinées à lutter contre les abus fiscaux est l’arme la plus affûtée jamais imaginée par la Commission européenne. En

coulisse, la Belgique n’a pas aidé, freinant des quatre fers, mettant un temps considérable à accepter de transposer cette directive, qui comporte cinq ou six grosses mesures “anti-abus”, notamment pour éviter que les bénéfices réalisés en Belgique soient taxés sous des cieux fiscaux plus cléments. Parmi ces mesures, la limitation de la déduction d’intérêts.

La déduction d’intérêts, la Belgique connaît bien : notre pays a toujours été très souple – entendez : peu taxatrice – avec la déduction des intérêts d’emprunts, transférés entre sociétés filiales appartenant à un même groupe.

Au début de ce mois de décembre, le ministre des Finances, Alexander De Croo (Open VLD), a déposé un projet de loi qui introduit de nouvelles règles en matière de déductibilité des intérêts. En gros, le projet permet la consolidation, soit le fait d’appliquer des règles fiscales pour l’ensemble d’un groupe, et non plus pour chacune des sociétés filiales qui le composent. Bref, le but est de “mieux” taxer les entreprises. Bien sûr, il y a des limites.

POURQUOI LA DÉDUCTION DES INTÉRÊTS EST-ELLE CRUCIALE ?

“ La règle de limitation à la déduction des intérêts a fait l’objet de nombreuses modifications depuis son introduction en droit belge par la loi du 25 décembre 2017 ”, explique Denis-Emmanuel Philippe, avocat fiscaliste chez Bloom Law.

Le principe est le suivant : les charges nettes d’intérêts (ou “surcoûts d’emprunt”) ne sont pas déductibles dans la mesure où elles excèdent le plus élevé des deux plafonds suivants, soit 30 % du résultat opérationnel (Ebitda fiscal), soit 3 millions d’euros. “ Il y a une échappatoire notable à cette limitation : la directive européenne permet en effet d’exclure les anciens emprunts conclus avant le 17 juin 2016, pour autant qu’ils n’aient pas subi de modification après cette date ”, poursuit l’expert. Cette latitude, la Belgique l’a saisie à bras-le-corps. Les emprunts existants, conclus avant le 17 juin 2016, date de l’accord politique entre les 28 États membres concernant l’adoption de la directive, sont donc hors du champ d’application de la loi. Ce “cadeau”, le Conseil supérieur des finances (CSF) en a estimé le montant : 942 millions d’euros.

POURQUOI LE PROJET DE LOI A-T-IL ÉTÉ RETIRÉ DE L’AGENDA ?

“En outre, dans la transposition belge, les anciens emprunts ne sont soumis à la nouvelle limitation que s’ils font l’objet d’une modification dite fondamentale ”, selon Denis-Emmanuel Philippe. Derrière ce mot “fondamental”, l’interprétation peut être large. Le diable se cache dans les détails, ce qui fait bondir les socialistes (lire ci-contre), les échappatoires étant trop criantes.Bref, la transposition de cette directive pour lutter contre les abus fiscaux est censée rapporter 1,2 milliard d’euros par an en rythme de croisière. Elle aurait pu en rapporter le double, selon eux. Tout serait-il dit ? Non.

Tout n’est pas blanc ou noir, et pour des raisons purement politiques, le projet de loi d’Alexander De Croo qui peaufinait et complétait la transposition de la directive, a été retiré de l’agenda par les libéraux flamands. “ Le Vlaams Belang et la N-VA avaient déjà annoncé qu’ils s’abstiendraient sur ce texte. Si la gauche avait réussi à l’amender pour le durcir, l’Open VLD se serait retrouvé seul à le défendre face aux deux plus importants groupes politiques flamands, qui ne se seraient pas gênés pour torpiller les libéraux flamands.”
POURQUOI LE CHAOS GUETTE-T-IL ?

Le résultat de tout cela ? La Belgique n’est pas en mesure de préciser et compléter les textes de loi transposant cette fameuse directive. Et donc, non seulement, le texte est incertain sur le plan juridique, mais le budget de l’État l’est tout autant. “ Car il n’y a toujours pas de consolidation réelle en Belgique ”, explique-t-on du côté de la FEB. Autrement dit, les petits jeux politiques actuels font que la Belgique n’est pas en mesure de taxer les entreprises suivant le canevas prévu. “ En voulant durcir les conditions de taxation, la gauche a provoqué le retrait du texte, ce qui pénalise le budget de l’État, car les textes actuels sont incomplets et sujets à interprétation ”, explique une autre source proche du dossier.Pour la FEB, vit surtout la crainte “ de voir les contrôles fiscaux se multiplier pour les grosses sociétés puisque les textes ne sont pas clairs sur la manière de consolider et sur la manière d’établir les montants d’intérêts déductibles. Du cas par cas, en somme ”, regrette Jean Baeten, conseiller fiscal de la FEB.

Contacté, le cabinet du ministre Alexander De Croo n’a pas répondu aux questions posées.François Mathieu
Le ministre des Finances, Alexander De Croo (Open VLD), a retiré du Parlement son projet de loi visant à modifier des éléments de la réforme de l’impôt des sociétés.

François Mathieu ■

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