2021/12/07: ‘Le point sur le nouveau régime fiscal des expats – focus sur les mesures transitoires.’

Le point sur le nouveau régime fiscal des expats – focus sur les mesures transitoires

Les expats (et par ricochet les multinationales qui les recrutent) figurent dans la liste des perdants de l’accord budgétaire fédéral. Le gouvernement Vivaldi a en effet décidé de briser les tabous en sabrant dans leur statut fiscal de faveur.

C’est ainsi que le 1er décembre dernier, le gouvernement Vivaldi a déposé un projet de loi-programme à la Chambre, qui introduit dans le paysage fiscal un nouveau régime fiscal pour les « impatriés », remplaçant l’ancien régime découlant de la circulaire de 1983.

Nous examinerons ci-dessous : (i) le régime actuel des expats (circulaire de 1983), (ii) les grandes lignes du nouveau régime des impatriés et (iii) le régime transitoire.

1.Régime actuel des expats (circulaire de 1983) 

La charge salariale est l’un des principaux leviers déterminant la stratégie de localisation d’une entreprise multinationale. Or, la Belgique figure chaque année sur le podium des pays où la pression fiscale (et parafiscale) sur les salaires est la plus lourde.

La Belgique s’est appliquée depuis 1983, par la voie d’une circulaire administrative controversée, à offrir aux expats (ou cadres étrangers) un régime fiscal particulièrement avantageux. L’objectif poursuivi consiste à renforcer notre attractivité : en accordant une niche fiscale aux cadres dirigeants, on incite en effet les entreprises étrangères à déployer leurs activités en Belgique, à y investir et à créer de l’emploi.

Quelque 20.000 cadres bénéficient de ce régime aujourd’hui. Il a vocation à s’appliquer à certains cadres détachés en Belgique ou recrutés à l’étranger pour travailler temporairement en Belgique. Il est réservé aux cadres de nationalité étrangère, possédant un niveau de compétence et de responsabilité élevé.

L’avantage fiscal du dispositif actuel est double. En premier lieu, les cadres peuvent bénéficier de diverses allocations non imposables en tant que remboursements de dépenses propres à l’employeur, pour un montant de 11.250 EUR. En second lieu – et c’est bien là que réside l’attrait principal du régime -, les cadres en séjour temporaire en Belgique sont considérés comme des « non-résidents », de sorte qu’ils sont seulement imposés sur leurs revenus découlant de l’exercice de leur activité professionnelle en Belgique. La rémunération afférente aux jours de travail à l’étranger n’est, quant à elle, pas imposable en Belgique ; c’est ce que l’on appelle la « travel exclusion » dans le jargon des fiscalistes. Si le cadre fait des déplacements professionnels à l’étranger à hauteur de 50%, l’impôt belge ne sera calculé que sur la moitié de sa rémunération. En pratique, force est de constater que cette partie de la rémunération non imposée en Belgique n’est souvent taxée nulle part ailleurs, car les cadres ne sont généralement pas résidents fiscaux dans un autre pays ; autrement dit, ce sont des « apatrides fiscaux ».

Un parallèle (osé) pourrait être fait avec les fameux “ excess profit rulings », c’est-à-dire ces accords fiscaux par lesquels les autorités fiscales belges ont validé l’exonération des bénéfices dits “excédentaires” de sociétés belges appartenant à un groupe d’entreprise multinational, sans exiger que les bénéfices en question soient inclus dans la base imposable d’une société étrangère du groupe. Ce qui ouvrait la voie royale vers une “non-imposition” totale.

La Cour des comptes avait déjà émis des vives critiques à l’égard du régime fiscal des cadres étrangers (absence de base légale, absence de délai maximal pour bénéficier du régime, insuffisance des contrôles fiscaux, soupçons d’évasion fiscale,…).

Le gouvernement Vivaldi a donc décidé de réformer complètement le régime des cadres étrangers qui existait depuis presque 40 ans par la création d’un tout nouveau régime intitulé « régime spécial d’imposition pour les impatriés ».

2. Nouveau régime spécial d’imposition pour les impatriés

Nous décrirons ci-dessous les éléments essentiels du nouveau régime fiscal des impatriés, repris dans le projet de loi-programme du 1er décembre 2021.

a. Base légale

Le nouveau régime spécial d’imposition pour les impatriés sera intégré dans le Code des impôts sur les revenus 1992 ; le régime prévu par la circulaire n°Ci.RH.624/325 294 du 8 août 1983 sera tout simplement aboli.

b. Durée limitée

Contrairement à l’ancien régime, qui octroyait le statut de cadre étranger pour une durée indéterminée, le statut d’impatrié sera désormais octroyé pour une période maximale de 5 ans, renouvelable une seule fois pour 3 ans.

c. Conditions d’éligibilité plus strictes

Les conditions d’octroi du statut seront également plus strictes. Il faudra désormais que les conditions suivantes soient cumulativement réunies :
– Au cours des 60 mois précédant celui de l’entrée en fonction en Belgique, ne pas avoir été habitant du Royaume, ne pas avoir résidé à une distance inférieure à 150 km de la frontière belge, et ne pas avoir été soumis à l’impôt des non-résidents du chef de revenus professionnels en Belgique ;
– Recueillir une rémunération annuelle brute d’au moins 75.000,00 EUR.

d. La fin du règne des apatrides fiscaux

Les apatrides fiscaux ne pourront plus prospérer dans le nouvel environnement fiscal.
L’impatrié sera désormais présumé être assujetti à l’impôt des personnes physiques par son inscription au Registre national belge des personnes physiques.
La fiction de « non-résidence » passera à la trappe ; l’application du régime à l’impôt des non-résidents sera ainsi seulement autorisée si le cadre remet à l’administration fiscale une attestation de son Etat de résidence, certifiant qu’il est soumis à l’impôt sur les revenus en tant que résident fiscal de cet Etat.
Un cadre ne pourra donc plus être considéré comme un non-résident fiscal s’il a mis fin à sa résidence fiscale dans son pays d’origine (en coupant définitivement les ponts avec celui-ci). Selon l’exposé des motifs du projet de loi-programme, il en sera ainsi de tous les impatriés mariés qui s’installent en Belgique avec leur famille.
Il est ainsi mis fin au régime du « travel exclusion », tel que prévu par la circulaire de 1983. Il faut toutefois nuancer le propos. Il va bien entendu de soi qu’en vertu du nouveau dispositif, un impatrié assujetti à l’IPP pourra bénéficier de l’exonération en Belgique de la rémunération afférente à une activité salariée prestée à l’étranger en vertu de la convention préventive de la double imposition applicable, moyennant le respect de certaines conditions.

e.Clé de voûte du nouveau dispositif : montant de dépenses propres à l’employeur égal à 30% de la rémunération

Ce nouveau régime s’articulera autour de la notion de « dépenses propres à l’employeur ». Le seuil de 11.250,00 EUR de dépenses propres à l’employeur sera supprimé et remplacé par un montant forfaitaire correspondant à 30% de la rémunération avec un montant maximal de 90.000,00 EUR par an.

3.Mesures transitoires

Le nouveau régime des impatriés sera applicable à tous les contribuables éligibles entrant en fonction en Belgique à partir du 1er janvier 2022.

Pas de panique pour les cadres bénéficiant encore du régime actuel des cadres étrangers (circulaire de 1983). Selon l’exposé des motifs du projet de loi-programme, les cadres étrangers bénéficiant de l’ancien régime (circulaire du 8 août 1983) pourront en effet continuer à en bénéficier pendant deux ans, soit jusqu’au 31 décembre 2023. Ils deviendraient des résidents fiscaux belges à compter du 1er janvier 2024, sauf s’ils sont résidents fiscaux d’un autre pays.

Les cadres étrangers pourront également opter pour le nouveau régime avant le 30 juin 2022, mais uniquement pour le reliquat de la période de 5 + 3 ans (voir exemple ci-dessous). L’administration se prononcera dans un délai de 3 mois à compter de la réception de la demande. En cas de réponse positive, le nouveau régime sera applicable aux rémunérations perçues par l’impatrié à partir du 1er janvier 2022.

Exemple : Voici un contribuable entré en fonction en Belgique le 1er août 2018 sous le bénéfice de l’ancien régime (circulaire de 1983), et qui répond aux conditions légales pour « basculer » vers le régime des impatriés. Le bénéfice du nouveau régime pourra être accordé du 1er janvier 2022 jusqu’au 31 juillet 2023 (fin de la période de 5 ans). Cette durée pourra, le cas échéant, être prolongée de 3 ans.

La décision d’opter ou non pour le nouveau régime des impatriés nécessitera une analyse au cas par cas pour chaque expatrié.

Plusieurs facteurs vont entrer en considération:

  • Déterminer si le cadre étranger bénéficie du régime fiscal de faveur (circulaire de 1983) depuis plus ou moins de 5 ans au 1er janvier 2022 (a) ;
  • Analyser si le cadre étranger respecte les conditions du nouveau régime des impatriés, le respect de ces conditions devant être apprécié de manière rétroactive depuis la première affectation en Belgique (b) ;
  • Comparer les avantages de l’ancien régime avec ceux du nouveau régime afin d’apprécier l’opportunité d’un « opt in» ou d’un « opt out » (c).

a.Durée du statut de cadre étranger

Si le contribuable, au 1er janvier 2022, dispose du statut de cadre étranger (circulaire de 1983) depuis plus de 5 ans, il ne pourra pas bénéficier du nouveau régime fiscal des impatriés. Il bénéficiera donc de l’ancien régime jusqu’au 31 décembre 2023 et deviendra un résident fiscal belge au 1er janvier 2024, sauf s’il est résident fiscal d’un autre pays.

Exemple : Un cadre étranger bénéficie de l’ancien régime depuis le 1er juillet 2015. Il ne sera pas éligible au nouveau statut d’impatrié, puisqu’il dispose de ce statut depuis plus de 5 ans au 1er janvier 2022. Il pourra encore bénéficier de l’ancien régime jusqu’au 31 décembre 2023 et deviendra un résident fiscal belge à compter du 1er janvier 2024, sauf s’il est résident fiscal d’un autre pays.

b.Respect des conditions du nouveau régime des impatriés

Le contribuable ne pourra pas non plus opter pour le nouveau régime si, au 1er janvier 2022, il dispose du statut de cadre étranger depuis moins de 5 ans, mais qu’au moment de sa première affectation en Belgique, il ne respectait pas les conditions du nouveau régime. Le nouveau régime ne sera ainsi pas applicable si:

  • Le contribuable recueille une rémunération annuelle brute de moins de 75.000,00 EUR ;
  • Au cours des 60 mois précédant celui de l’entrée en fonction en Belgique, le contribuable a été habitant du Royaume, a résidé à une distance inférieure à 150 km de la frontière belge et a été soumis à l’impôt des non-résidents à raison de revenus professionnels en Belgique.

Exemple: Un cadre étranger habitait Lille lorsqu’il a été affecté en Belgique en novembre 2018. Il ne sera pas éligible au nouveau statut d’impatrié, puisqu’au cours des 60 mois précédant celui de son entrée en fonction en Belgique, il résidait à une distance inférieure à 150 km de la frontière belge. Il pourra encore bénéficier de l’ancien régime jusqu’au 31 décembre 2023 et deviendra un résident fiscal belge à compter du 1er janvier 2024, sauf s’il est résident fiscal d’un autre pays.

c.Ancien vs. Nouveau régime : lequel est le plus attrayant fiscalement ?

Si le contribuable est dans les conditions pour « basculer » vers le nouveau régime des impatriés (voir supra), il conviendra encore d’analyser l’opportunité de ce basculement.

En effet, l’ancien régime pourrait s’avérer plus intéressant que le nouveau régime dans certains cas bien particuliers. Nous songeons aux expatriés avec un nombre important de jours professionnels à l’étranger (« travel exclusion ») et qui sont des non-résidents dans leur pays d’origine.

Il pourrait être préférable pour ces expatriés de ne pas opter pour le nouveau régime des impatriés et de bénéficier de l’ancien régime jusqu’au 31 décembre 2023.

On pourrait considérer que le nouveau dispositif reste attrayant pour les cadres percevant une rémunération allant jusqu’à 300.000 EUR : ceux-ci pourront bénéficier pleinement du montant forfaitaire de dépenses propres à l’employeur non imposables (90.000 EUR, soit 30% * 300.000 EUR). Pour les cadres de très haut niveau, qui perçoivent des rémunérations (largement) supérieures, le nouveau cadre légal risque par contre d’être bien moins compétitif que l’ancien régime…

 

Denis-Emmanuel Philippe, Avocat associé Bloom Law, Maître de conférences Université de Liège

Kevin Dorban, Avocat collaborateur Bloom Law