Séparer le patrimoine immobilier du pôle opérationnel d’une société est une formule intéressante dans l’optique de la vente d’une société immobilière. C’est aussi une formule plus sûre depuis qu’elle a été validée par le tribunal de première instance d’Anvers, donnant tort au fisc.
Le tribunal de première instance d’Anvers vient de donner raison dans un récent jugement à une société holding ayant vendu les actions d’une société immobilière à l’issue d’une restructuration. Le tribunal a rejeté la thèse du fisc qui s’appuyait sur plusieurs mesures anti-abus pour taxer la plus-value sur actions réalisée par le holding.
Une société opérationnelle, qui possédait par ailleurs des immeubles, avait fait l’objet d’une restructuration, dénommée “scission partielle”, de telle sorte qu’elle était devenue une société immobilière pure. Ses actions furent ensuite vendues par sa société mère, la société faîtière du groupe, à un tiers investisseur. Le holding avait considéré que la plus-value sur actions était exonérée d’impôt des sociétés.
Une première
Le juge a confirmé ce point de vue en considérant que l’opération reposait sur des motivations économiques, donc non fiscales. Il a ainsi rejeté la thèse du fisc, qui avait invoqué plusieurs mesures anti-abus pour contrecarrer le montage qu’il assimilait à de l’optimisation fiscale.
“C’est à ma connaissance la première fois qu’un juge se prononce sur ce type d’opération de restructuration, pourtant fort classique”, observe Denis-Emmanuel Philippe, avocat associé chez Bloom et maître de conférences à l’ULiège.
“Voilà qui devrait ravir de nombreuses entreprises qui désirent séparer leur patrimoine immobilier de leur pôle opérationnel, dans l’optique d’une cession d’actions”, estime-t-il.
“Un véritable havre fiscal”
Mais revenons brièvement sur les faits. L’affaire concerne une restructuration d’un groupe multinational détenant un parc immobilier. Une société du groupe détenant et exploitant des immeubles a fait l’objet d’une “scission partielle” pour séparer les biens immeubles et l’exploitation qui étaient jusque-là regroupés au sein d’une même entité.
Grâce à cette scission partielle, la société faîtière du groupe a pu vendre à un tiers investisseur les actions qu’elle détenait dans la société immobilière, qui ne détenait plus que des immeubles suite au transfert de l’activité opérationnelle à une nouvelle société. L’opération, c’est-à-dire la vente des actions réalisée par la société faîtière, a été intégralement exonérée d’impôts: pas d’impôt des sociétés sur la plus-value ni de droits d’enregistrement ou de TVA sur le prix de vente. “Un véritable havre fiscal”, résume Denis-Emmanuel Philippe.
A contrario, si les immeubles avaient été vendus directement au tiers-investisseur, la société immobilière aurait dû payer l’impôt des sociétés (25%) sur la plus-value réalisée, plus des droits d’enregistrement (10% en Flandre) ou la TVA (21%). Entre les deux formules, le choix était donc vite fait.
C’était sans compter sur l’administration qui s’était opposée à ce que le holding puisse bénéficier du régime d’exonération des plus-values sur actions. Son argument reposait sur le fait que l’opération de restructuration dans son ensemble était une “construction artificielle” synonyme d’abus fiscal. L’administration a dès lors infligé un redressement salé, en taxant intégralement la plus-value réalisée sur la vente des actions.
Motivation économique
Saisie par le contribuable, la justice anversoise a toutefois jugé que l’administration n’apportait pas la preuve de l’existence d’une telle construction artificielle. Le juge a au contraire épinglé la présence de motifs économiques valables qui ont présidé à la mise en place de l’opération de scission partielle suivie de la cession d’actions.
Le tribunal a par ailleurs rappelé que le fisc ne peut juger de “l’opportunité” en termes de stratégie économique de l’opération de restructuration qui a été mise en place au niveau du groupe. Le prix de cession des actions avait en effet été utilisé en tant que levier pour obtenir un emprunt bancaire permettant de réinvestir plusieurs fois le prix de cession.
Pour Denis-Emmanuel Philippe, pareille opération de scission partielle est généralement guidée par des considérations économiques. “Ce type de restructuration fait l’objet d’innombrables décisions anticipées ou de rulings favorables”, rappelle-t-il. Ce qui illustre de manière éloquente, selon lui, son intérêt pratique pour les groupes d’entreprises qui détiennent un patrimoine immobilier.
Selon nos informations, appel a été interjeté par l’administration fiscale.
Loger un immeuble dans une société: des avantages, mais aussi des inconvénients
L’acquisition d’un immeuble en société présente des avantages indéniables. En premier lieu, cela permet à la société de déduire les charges immobilières (droits d’enregistrement, amortissements, intérêts de l’emprunt contracté pour acquérir l’immeuble, etc.).
En second lieu, cette technique permet en principe à l’actionnaire de céder les actions de la société immobilière en réalisant une plus-value (sur actions) exonérée. La cession d’actions ne donne en outre pas lieu à des impôts indirects (droits d’enregistrement ou TVA).
Loger un immeuble dans une société peut toutefois, à terme, présenter certains inconvénients. “Il faut surtout garder à l’esprit que l’impôt des sociétés sera prélevé sur la plus-value qui sera réalisée lors de la cession de l’immeuble par la société. Ce problème de taxation de la plus-value est un peu comme le sparadrap du capitaine Haddock dans ‘L’affaire Tournesol’”, résume Denis-Emmanuel Philippe.
Le résumé
- Pour vendre une société immobilière, mieux vaut passer par une scission partielle.
- Celle-ci implique de séparer le patrimoine immobilier du pôle opérationnel.
- Ce faisant, on évite l’impôt des sociétés sur la plus-value, les droits d’enregistrement et la TVA sur le prix de vente.
- Le tribunal de première instance d’Anvers a validé l’opération, donnant tort à l’administration fiscale
Journaliste Jean-Paul Bombaerts
Lire aussi l’intervention de Denis-Emmanuel Philippe dans L’ Echo.
L’ Echo 20 08 2024 Denis-Emmanuel Philippe